JK Rowling, Poudlard et le reste.
Il y a une J.K. Rowling qui vit dans le coeur et dans la tête de milliers
d'enfants de par le monde. Elle a une baguette magique et des
cheveux dorés, et quand elle rit de son rire cristallin, des bulles
d'échappent de sa bouche.
Cette J.K. Rowling, cependant, n'existe pas. Penchons-nous sur la vraie
Jo Rowling, il y a cinq ans, en train de travailler sur Harry
Potter et la Coupe de feu : "La Coupe... Oh mon
Dieu. C'était la période où je mâchais de la Nicorette. Puis j'ai
recommencé à fumer, mais sans arrêter la Nicorette. En plus, je
le jure sur la tête de mes enfants, le soir, quand j'allais me
coucher, j'avais des palpitations, et il fallait que je me lève
pour aller boire du vin afin d'être suffisamment ivre."
Les petits enfants devraient être reconnaissants d'avoir la vraie Jo,
parce que si c'était la Jo imaginaire qui avait écrit les Harry
Potter, imaginez à quel point ils auraient été ennuyeux.
Les cheveux de la vraie Rowling sont dorés, mais avec des racines brunes,
en ce moment. Ce qui est parfaitement compréhensible, vu que ces
six derniers mois elle a donné naissance à son troisième enfant
- une fille, Mackenzie - et terminé le sixième tome de Harry
Potter, Harry Potter et le prince de sang-mêlé, qui
est sorti vendredi à minuit. A trente-neuf ans, Rowling est une
belle femme grande avec un long visage, un nez légèrement busqué
et des yeux intéressants aux paupières tombantes. Assise à une
table de conférence dans un bungalow attenant à sa majestueuse
demeure d'Edimbourg (qui n'est ni la seule ni la plus majestueuse
de ses maisons), elle parle vite, même un peu nerveusement. Elle
utilise le mot "évidemment" beaucoup plus que la moyenne,
et elle aime tenir des propos provocants, puis éclater de son
rire rauque pour vous montrer qu'elle ne fait que plaisanter.
Rowling est toute de noir vêtue - un
large sweat noir, un pantalon noir. Un coup d'oeil sous la table
nous révèle des bottes de cuir noir brillantes, avec des talons
aiguilles d'au moins sept centimètres.
Les fans envoient à Rowling des baguettes et des plumes par sacs entiers,
mais elle avoue avec un peu de honte qu'elle ne les utilise jamais
et que les baguettes vont directement chez la plus âgée de ses
filles, Jessica. La plus célèbres des auteurs vivants de livres
fantastiques n'est même pas particulièrement fan d'histoires fantastiques.
Ce n'est qu'après que L'école des sorciers a été publié
qu'elle s'est aperçue qu'elle en avait écrit une. "C'est
la vérité vraie", dit-elle. "Vous savez, il y avait
des licornes. Il y avait un château? Mais je ne pensais vraiment
que c'était ce que j'étais en train de faire. Et je crois que,
la raison pour laquelle je ne m'en suis pas rendu compte, c'est
que je n'aime pas tellement le fantastique". Rowling n'a
jamais terminé Le Seigneur des anneaux. Elle n'a même pas
lu tous les Narnia de C.S. Lewis, auxquels ses livres sont
souvent comparés. Il y a quelque chose dans la sentimentalité
de Lewis à propos des enfants qui l'énerve. "A un moment
Susan, la fille la plus âgée, se perd à Narnia parce qu'elle a
commencé à s'intéresser au rouge à lèvres. Elle est devenue irréligieuse
uniquement parce qu'elle a découvert l'existence du sexe, dit
Rowling. "Ca me pose un gros problème".
Rowling n'a certainement pas peur du sexe, comme l'a montré L'Ordre
du Phénix, dans lequel Harry sort avec la belle Cho Chang.
Harry et ses amis ont seize ans, à présent, et ça paraîtrait bizarre
qu'Harry n'ait rien d'autre en tête que des baguettes magiques
et des Vifs d'or. "A cause des aventures qu'il connaît, Harry
a moins d'expérience que les autres garçons de son âge en matière
d'amour", reconnaît Rowling. "Mais je voulais vraiment
que mes héros grandissent. Les hormones de Ron sont en pleine
action dans le sixième tome". Encore un éclat de rire. "En
gros, Ron s'aperçoit qu'il est arrivé des choses à Hermione, à
Harry, mais pas à lui !"
C'est précisément son manque de sentimentalité, son réalisme, son refus
de donner dans le cliché du fantastique, qui font
d'elle un si grand auteur de fantastique. C'est un genre à tendance
conservatrice ; politiquement, culturellement, et psychologiquement.
Il montre un monde pseudo-féodal idéalisé et romantique, où les
chevaliers et les demoiselles dansent gaiement. Les livres de
Rowling ne sont pas comme ça. Ils se déroulent dans les années
90, pas dans un Narnia intemporel, mais dans une Angleterre moderne
avec des voitures, des téléphones et des Playstations. Rowling
adapte un genre conservateur pour servir ses propres intérêts,
qui sont progressistes. Son Poudlard est laïc, sexuel, multiculturel
et multiracial, et même en quelque sorte multimédia, avec tous
ces fantômes qui parlent. Si Lewis s'y montrait, il finirait sûrement
Mangemort.
D'accord, les livres de Rowling commencent comme une invitation à fuir
la réalité : Oh, Harry n'est pas un pauvre orphelin, en réalité
c'est un riche sorcier qui monte dans un train secret qui l'emmène
vers un château, et cætera. Mais plus on avance, plus on s'aperçoit
que les problèmes sont très réels : gêne, préjugés, dépression,
colère, pauvreté, mort. "J'ai essayé de détruire l'influence
que peut avoir ce genre", explique Rowling de but en blanc.
"Harry arrive dans ce monde magique, et est-il meilleur que
celui qu'il a quitté ? Seulement parce qu'il rencontre des gens
plus gentils. Ce n'est pas la magie qui rend son monde meilleur
de manière significative. Ce sont les relations. La magie lui
complique la vie de plusieurs façons".
Et au contraire de Lewis, dont les livres sont pétris de théologie, Rowling
refuse de se poser en éducatrice morale pour les millions d'enfants
qui lisent ses livres. "Je ne pense pas que ce soit sain
pour mon travail de penser en ces termes. Alors je ne le fais
pas", dit-elle. "Je ne me dis jamais : "Alors,
qu'est-ce que je vais leur apprendre ?" ou "Qu'est-ce
qu'il serait bon de leur faire découvrir maintenant ?" ".
"Cependant", ajoute-t-elle, "on ne peut nier qu'il y a
de la morale". Mais elle ne l'introduit pas de manière facile.
Dans La Coupe de feu, le gentil Cedric Diggory meurt sans
aucune raison. Dans L'Ordre du Phénix, on apprend que le
père de Harry, qu'il idéalisait, était en fait un petit caïd.
Les gens ne sont pas bons et mauvais par nature ; ils changent,
se transforment, et luttent. Comme le dit Dumbledore à Harry,
"Ce sont nos choix, Harry, qui montrent ce que nous sommes
vraiment, beaucoup plus que nos aptitudes". D'accord, nous
savons que Harry ne succombera pas à la colère et au mal.
Mais sans arrêt, nous nous disons qu'il le pourrait. Il
est intéressant de constater que, bien que Rowling appartienne
à l'Eglise d'Ecosse, les livres sont vierges de toute référence
à Dieu. Sur ce point, Rowling est un peu réticente : "Hum,
je ne pense pas qu'ils soient si laïcs que ça. Mais évidemment,
Dumbledore n'est pas Jésus".
Mais il y a des limites à la sophistication de Harry Potter. Depuis la
publication de L'Ecole des sorciers, en 1998, les événements
survenus partout dans le monde menacent d'arriver à un point où
ils demanderont plus aux livres que ce qu'ils peuvent leur donner.
Dans L'Ordre du phénix est embraqué dans une guerre semi-civile
sans limite contre un personnage assez vague qui se cache et dont
le gouvernement s'obstinait à ignorer l'existence jusqu'à ce qu'un
accident les oblige à ouvrir les yeux, et qui est soutenu par
tout un réseau d'agents dormants prêts à avoir recours à toutes
sortes de tactiques d'une cruauté épouvantable. Les enfants qui
ont grandi avec Harry Potter - on pourrait les appeler « la génération
sortilège » - sont les mêmes qui ont grandi avec la menace omniprésente
du terrorisme, et il est inévitable qu'à un moment ils établissent
un rapport entre les deux.
Ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Mais jusqu'à présent,
le plus gros défaut de la série, c'est la fadeur de l'ennemi de
Harry, Voldemort (dont Rowling ne prononce pas le « t »). Dans
les livres précédents, Voldemort a réussi à récupérer un corps,
mais il lui manque toujours un véritable motif. On n'a aucune
idée d'où lui vient cet enthousiasme qu'il met à être mauvais.
« Vous allez le découvrir », dit Rowling. « Evidemment il manque
beaucoup de choses à ce propos, mais dans le six, Harry découvre
beaucoup du passé de Voldemort. Même s'il n'a jamais vraiment
été un gentil garçon », ajoute-t-elle en riant.
Non, en effet. Dans Le Prince de sans-mêlé, Rowling se sert de
documentaires sur la vie de Voldemort tirés d'une Pensine pour
nous expliquer la psychologie du mal. Et elle a beaucoup à voir
avec le rôle du père dans la famille. « En me penchant à nouveau
sur les cinq livres déjà publiés, je me rends compte qu'il y a
une collection de mauvais pères », admet Rowling. « C'est là que
le mal paraît fleurir, là où les gens n'ont pas un bon père ».
Cela vient sûrement en partie de sa propre expérience : ses relations
avec son père ont toujours été difficiles, et le père de sa première
fille ne fait plus partie de sa vie.
Malgré son énorme succès, grâce auquel sa fortune se compte à présent
en centaines de millions, on sent toujours chez Rowling une incroyable
ambition pour son travail, qui semble en partie basé sur un sentiment
d'insécurité et de doute. Il est bien connu qu'elle fut autrefois
une mère divorcée qui passa près d'un an à vivre des allocations,
mais elle se pose toujours en permanence des questions sur son
écriture, comme un boxeur qui visionne ses combats. « Je crois
que L'Ordre du phénix aurait pu être plus court. Je le
savais, et à la fin je n'avais plus beaucoup de temps ni d'énergie
», dit-elle. Elle est également inquiète que La Coupe de feu
ait reçu trop d'éloges. « Dans chacun des livres il y a quelque
chose que j'aimerais réécrire. Mais j'ai vraiment peaufiné l'intrigue
de celui-ci. Pendant trois mois je me suis simplement assise là,
à vérifier et re-vérifier l'intrigue, à la tourner dans tous les
sens, à le regarder sous tous les angles. Peut-être que j'avais
appris des erreurs passées. »
Cette obsession pour la perfection la rend peut-être un peu inaccessible
à ceux qui l'entourent. Elle nous raconte une conversation qu'elle
avait eue avec sa petite sour - Di, trente-huit ans - à propos
du directeur de Poudlard, Albus Dumbledore. Di trouve qu'il manque
de compassion par rapport au poste qu'il occupe. « Elle m'a dit
: 'Il est comme toi'. Et moi j'ai demandé : 'Qu'est-ce que ça
signifie ?', et elle a répondu : 'Tu sais, il est. détaché'. Et
c'était à la fois désagréable et éclairant. Peut-être que ça ne
me serait pas aussi facile qu'à elle de dire : 'Cette personne
est ma meilleure amie'. »
Rowling s'apprête à dire au revoir à un très bon ami : Le Prince de
sang-mêlé est le sixième livre des sept prévus, et c'est tout
ce qu'elle a écrit. « Je vais être tellement triste en me disant
que plus jamais je n'écrirai une phrase 'Harry-Ron-Hermione' »,
dit-elle. Mais ses sentiments sont partagés. « Une partie de moi
sera contente quand tout ceci sera terminé. Notre vie de famille
sera plus normale. Ce sera une occasion d'écrire autre chose ».
Attendez un peu. Autre chose ? C'est déroutant d'imaginer Rowling passer
de Harry et sa bande à un nouveau groupe de personnages. Mais
au moins, on peut dire que Harry est le dernier sorcier de Rowling.
Après ça, il sera uniquement question de Moldus. « Je crois pouvoir
déclarer catégoriquement que je n'écrirai plus rien de genre fantastique
après Harry », affirme-t-elle. Et cette phrase la rend
un peu nerveuse, tout comme ses agents, qui vaquent non loin.
« Attendez, je suis en train de paniquer, maintenant. Oh mon Dieu
! Oui, je suis sûre de pouvoir le dire. Je crois que j'aurai épuisé
les possibilités du genre. Pour moi. »
A part ça elle ne donne pas beaucoup d'indices, mais elle approche ces
projets avec son scepticisme habituel. « Il faudra qu'on voie
si c'est assez bon pour être publié. C'est un vrai problème, vous
savez, parce que la première chose que j'écrirai après Harry
sera peut-être absolument atroce, mais les gens l'achèteront.
Alors, vous voyez, il y a toujours cette réelle insécurité ».
Mais les insécurités futures peuvent attendre. Il y a toujours le livre
sept dont Rowling doit s'inquiéter. Elle en a déjà commencé l'écriture.
« Ce sera un livre complètement différent », dit-elle, « parce
que je donne une espèce de signal à la fin du six, et quand vous
l'avez terminé vous avez une idée très précise de ce que Harry
va faire ensuite ».
Elle ajoute avec un transport d'orgueil inhabituel : « Et ça va être très
excitant ! » Puis elle se rétracte. « Enfin, on ne sait pas. Peut-être
que vous lirez le six et que vous vous direz : 'Bah, je m'en fiche'
».
Mais ça, pour une fois, c'est vraiment du fantastique. Evidemment.
Comment toute cette histoire va-t-elle se terminer pour Harry et ses amis
? Voici les efforts que nous avons faits en divination.
Harry va-t-il enfin se trouver une fille ?
Ce que nous savons : Après que Harry
ait tout raté avec Cho Chang dans Phénix, il vit une belle
histoire avec Ginny Weasley dans Le Prince de sang-mêlé
- puis il arrête tout, par peur de la voir devenir une cible pour
Voldemort.
Ce que nous pouvons deviner : Quand tout se sera
calmé, il reviendra vers Ginny - il est déjà pratiquement un Weasley.
Ou alors : Luna Lovegood, la cinglée, qui, comme Harry, a connu
des tragédies.
Ron et Hermione deviendront-ils un couple ?
Ce que nous savons : Hermione est un
petit génie dotée d'un fort caractère. Et Ron ? Eh bien, Ron,
c'est Ron. Mais après l'aventure d'Hermione avec Viktor et celle
de Ron avec Lavande Brown, ils se rapprochent.
Ce que nous pouvons deviner : C'est joué d'avance.
A moins que ce ne soient des frère et
sour à la Star Wars.
Que fera Harry après avoir obtenu son diplôme ?
Ce que nous savons : Harry veut devenir
Auror, l'un de ces guerriers d'élite qui combattent le mal, mais
ses notes sont limites.
Ce que nous pouvons deviner : Rowling aime les
retournements de situation, et Auror, c'est trop évident. Harry
retournera à Poudlard pour enseigner la matière dans laquelle
il a toujours excellé : le défense contre les forces du mal.
Que réserve le futur à Neville Londubat ?
Ce que nous savons : Neville est le
plus mauvais élève de Gryffondor, mais il fait souvent preuve
de talents insoupçonnés, et il ne se trouve jamais loin du lieu
de l'action. Il remplit les mêmes conditions que Harry en ce qui
concerne la prophétie.
Ce que nous pouvons deviner : Les parents de
Neville ont été torturés jusqu'à la folie par Bellatrix Lestrange,
une fidèle de Voldemort. L'heure est venue de lui rendre la monnaie
de sa pièce. Il n'est pas l'Elu, mais il prendra Bellatrix en
duel avant la fin.
Quel est exactement le lien entre Harry et Voldemort ?
Ce que nous savons : Manifestement,
Harry et Voldemort sont liés par le sortilège que Voldemort a
lancé à Harry quand il était bébé. Mais il y a des connexions
plus subtiles : leur baguette contient une plume du même phénix,
et Harry peut ressentir ce que ressent Voldemort.
Ce que nous pouvons deviner : Le monde sorcier
n'est pas assez grand pour eux deux, et il est difficile d'imaginer
Harry recevoir la médaille d'argent. Mais Harry découvre peu à
peu son propre côté sombre et haineux. Peut-être que Voldemort
s'amendera avant de passer de l'autre côté du voile.
De quel côté est le professeur Rogue ?
Ce que nous savons : Rogue jouait pour
les deux équipe, à la fois les Mangemorts et l'Ordre du phénix.
Dans Le Prince de sang-mêlé, il dévoile son vrai visage.
Vraiment ?
Ce que nous pouvons deviner : La dernière trahison
de Rogue l'a placé au-delà de toute possibilité de pardon. Mais
les personnages de Rowling sont rarement tout blanc ou tout noir.
Attendons-nous à ce que Rogue accède, sinon à la rédemption, au
moins à un remords sincère.
Où est donc Dumbledore ?
Ce que nous savons : Si vous avez lu
Le Prince de sang-mêlé, vous savez que le directeur, selon
toute apparence, n'accordera plus jamais de point à Gryffondor.
Ce que nous pouvons deviner : Il est arrivé quelque
chose à Dumbledore, c'est sûr ; mais regardez ce qui s'est déjà
passé : Aslan est mort puis revenu dans Le lion, la sorcière
blanche et l'armoire magique. Gandalf a passé l'arme à gauche
dans La communauté de l'anneau, et il était à nouveau sur
pied en un rien de temps. On se reverra, Albus.
Interview traduit par Hedwige.