Il y a les livres, et il y a Harry Potter.
C'est le plus grand phénomène dans l'histoire de l'édition moderne, 200 millions
d'exemplaires, sur un garçon qui découvre qu'il est un sorcier
connu dans le monde entier.
Ils sont vendus dans 200 pays, et traduits dans cinquante langues. Au dessous
des livres se trouve une industrie - films, poupées, jeux et marchandises
rapportant des centaines de millions de pounds par an.
Tout cela venant d'une idée qui a traversé l'esprit de la jolie et sans un
sou JK Rowling alors qu'elle était assise dans un train. Elle
a imaginé son histoire comme une série de sept livres, un par
année à l'école de sorcellerie de Poudlard.
Le cinquième livre, Harry Potter et l'Ordre du Phénix, sera mis en vente
dans 28 heures et demi. On s'attend à ce que ce soit la plus grosse
vente de l'histoire.
L'auteur de ce phénomène vit à Edinbourgh.
(Jérémy et JK Rowling sont assis à table et regardent un exemplaire de Harry
Potter et l'Ordre du Phénix - dans le bureau de JK Rowling à Edinbourgh)
JEREMY PAXMAN : Donc c'est lui ?
JK ROWLING : C'est lui.
JP : Pouvons-nous jeter un oil à l'intérieur ?
JKR : Hmmm. Oui, rapidement. Vous pouvez regarder là. Voila, c'est tout.
JP : Combien de pages?
JKR : 766. Et toutes avec la peur de la page blanche, ce qui est un peu un
exploit, vous en conviendrez.
JP : Mais trouvez-vous que tout ce secret, le besoin de secret, c'est un
peu ridicule ?
JKR : Non.
JP : Non ? Pourquoi?
JKR : Non, pas du tout. En fait, une bonne partie vient de moi.
JP : Vraiment ?
JKR : Oui. Je veux dire, on pourrait bien sûr être cynique, et je suis sûre
que vous seriez disposé à l'être et dire que c'est une stratégie
de marketing, mais je ne veux pas que les enfants sachent ce qui
va se passer. Car cela fait partie de l'excitation de l'histoire,
et - vous savez - suer sang et eau pour créer des fausses pistes
et disséminer des indices.pour moi ce n'est pas un. c'est ma.
c'est ma. j'allais dire c'est ma vie, ce n'est pas ma vie, mais
c'est une part très importante de ma vie.
JP : Ce succès et cette célébrité ont-ils un prix ?
JKR : La question de la célébrité est intéressante car je n'ai jamais voulu
être célèbre, et je n'ai jamais rêvé l'être. Vous savez, mon rêve
de devenir un célèbre écrivain, et là encore il y a un léger décalage
avec la réalité, ce qui m'arrive souvent. Je pensais qu'être un
auteur à succès serait comme être Jane Austen. Pouvoir s'asseoir
dans sa maison comme dans une retraite, pendant que vos livres
deviennent célèbres, et que vous correspondez occasionnellement
avec le secrétaire du Prince de Galles. Vous savez, je ne pensais
pas qu'ils allaient fouiller mes poubelles, je ne m'attendais
pas à être photographiée sur la plage avec des zooms. Je n'ai
jamais rêvé que cela affecte négativement la vie de ma fille,
ce qui est parfois le cas. Il serait grossier de dire qu'il n'y
a rien de bon à être célèbre ; voir un étranger aller à votre
rencontre alors que vous êtes dans un supermarché, et vous dit
de gentilles choses sur votre travail. Je veux dire, après, vous
marchez sur un petit nuage. C'est une chose très, très agréable.
Je souhaiterais juste qu'ils ne m'abordent pas quand je m'achète.
vous savez.
JP : Du papier toilette ?
JKR : Des articles d'une nature douteuse, en effet. Toujours, toujours. Jamais
lorsque vous êtes dans le rayon des fruits et légumes frais. Jamais.
JP : Pensez-vous que le succès vous a changé ?
JKR : Oui.
JP : De quelle façon ?
JKR : Je n'ai plus l'impression d'occuper l'espace inutilement maintenant.
JP : Vous ne pensiez pas vraiment cela ?
JKR : Si, totalement. J'étais nulle. Oui, oui. Et maintenant je me rends
compte qu'il y avait une chose pour laquelle j'étais douée et
que j'espérais, c'est raconter une histoire, et je suppose qu'il
est assez triste que j'aie eu besoin de la confirmation d'être
publiée.
JP : Et pour ce qui concerne l'argent ? De nombreuses personnes qui gagnent
de façon soudaine beaucoup d'argent se sentent coupable de cela.
Vous sentez-vous coupable ?
JKR : Oui, je me sens coupable. Tout a fait.
JP : Pourquoi ?
JKR : Quand c'est arrivé pour la première fois, je ne suis pas devenue immédiatement
très riche. Le plus grand bon a été pour moi l'avance américaine,
qui était suffisamment grande pour m'acheter une maison, pas en
un seul versement, mais vous savez nous n'étions que locataires
jusque là. Et je ne me sentais pas coupable, alors, je me sentais
effrayée. Parce que je savais que je ne devais pas le dilapider
: j'avais reçu de l'argent, je ne devais pas faire n'importe quoi
avec. Ensuite oui, oui, j'ai ressenti de la culpabilité. Oui,
tout à fait. Je veux dire : j'arrivais quand même à voir les causes
et les effets. Je savais que j'avais travaillé vraiment dur pendant
une longue période. Bien sûr les récompenses étaient complètement
disproportionnées mais je pouvais voir comment je les avais obtenues
et ça m'a permis de rationaliser les choses plus facilement.
JP : Parlons un peu du prochain livre. Harry, Ron et Hermione grandissent
tous. Comment vont-ils changer ?
JKR : Ils vont beaucoup changer car je trouve sinistre la façon dont, quand
on lit les livres du Club des Cinq par exemple, je pense que ça
représente 21 ou 20 aventures, quelque chose comme ça, ils n'aient
eu aucune poussée d'hormone - à l'exception d'Anne à qui on disait
parfois, quand elle déballait un pique-nique, qu'elle ferait une
parfaite petite épouse.
JP : Mais c'est le modèle classique pour les livres d'enfants, n'est-ce pas
? Dans « Swallows and Amazons » c'est la même chose, non ? Les
enfants ne vieillissent pas. Mais vos personnages.
JKR : Et l'apothéose est atteinte dans Peter Pan évidemment, où c'est assez
explicite, et je trouve cela très sinistre. J'ai reçu une lettre
très directe d'une femme qui m'avait entendu dire que Harry allait
avoir son premier rendez-vous ou quelque chose comme ça et elle
me disait « S'il vous plait n'en faites rien, c'est affreux. Je
veux que ces livres soient un monde où mes enfants puissent se
réfugier. » Elle a littéralement dit « libres des blessures et
de la peur » et j'ai pensé « avez-vous lu les livres ? Pourquoi
parlez-vous de blessure et de peur ? Harry traverse un véritable
enfer chaque fois qu'il retourne à l'école. » Donc je pense que
quelques baisers allègeraient les évènements.
JP : Donc il va y avoir des couples dans ce livre ?
JKR : Et bien, en temps voulu.
JP : Des couples mal assortis ? Pas Hermione et Drago Malefoy ou n'importe
quoi de cet ordre ?
JKR : Je ne veux pas trop m'avancer pour ne pas ruiner tous les fan sites.
Ils s'amusent tellement avec leurs théories. Et c'est amusant,
c'est amusant. Et certains sont très proches de ce qui va se passer.
Personne n'a encore - Je suis allée voir certains d'entre eux
et personne n'a encore. Il y a une chose qui, si elle était découverte,
m'ennuierait beaucoup car c'est un peu le cour de l'intrigue.
Ca explique tout et personne n'a encore deviné mais deux ou trois
personnes s'en sont approché. Donc vous savez, je serais assez
vexée si, après treize ou quatorze années passées à écrire les
livres, quelqu'un venait et disait je pense que cela va arriver
dans le tome sept. Parce que c'est trop tard, je ne peux pas changer
la direction maintenant, tout a été construit, et j'ai disséminé
tous mes indices.
JP : Harry va-t-il devenir un adolescent rebelle ?
JKR : Il est très, très, très en colère dans ce livre. Il est souvent en
colère et je pense que c'est justifié car regardez par quoi il
est passé. Il est temps qu'il commence à ressentir de la révolte
vu la façon dont la vie le traite.
JP : Quand vous regardez à tous ces produits marketing, ces marchandises,
quand vous regardez des choses comme les sorbetières à glace Harry
Potter à la citrouille et tout ça.
JKR : Est-ce vrai ou l'avez-vous inventé ?
JP : Je suis sérieux. Il y a une liste de 50 de ces choses. Les polos brodés
Harry Potter, des serviettes Virée Nocturne, des réveils Harry
Potter et Ron Weasley. Je veux dire, ça continue encore et encore.
JKR : J'étais au courant pour le réveil. Ce que je ressens par rapport à
ça ? Honnêtement, je pense que c'est connu, si je pouvais stopper
tout ce marketing je l'aurais fait. Et deux fois par an je m'assoie
avec la Warner Brothers et nous parlons du merchandising et tout
ce que je peux dire c'est que vous auriez dû voir certaines des
choses que j'ai arrêté : des reveil-siège de toilette Mimi Geignarde
et pire encore.
JP : Je pensais que ça avait l'air plutôt marrant.
JKR : Je savais que vous alliez dire ça. Ce n'est pas marrant. C'était horrible,
c'était une chose horrible.
JP : Mais vous auriez pu dire « Non, je ne veux pas avoir de produits marketing
».
JKR : Je ne pense pas que je pouvais à l'époque. Pas à cette époque. Je suis
si nulle avec les dates. Ca devait être vers 1998-99, quand j'ai
commencé à parler avec la Warner Brothers, et à ce moment je n'avais
pas le pouvoir de les arrêter. C'est la nature du monde du cinéma.
Car il faut faire des films à gros budget, et s'ils continuent
à les faire ce qui n'est bien évidemment pas garanti, mais s'ils
continuent à les tourner, ils vont devenir encore plus chers ;
j'ai des frissons quand j'y pense, quand ils verront le tome cinq.
Parce que je pense qu'ils vont commencer à croire que j'écris
les choses uniquement pour voir s'ils vont pouvoir le faire. Ce
qui est bien sûr faux. Mais je sais que je provoque des migraines
avec l'étendue du monde que j'écris.
JP : Mais ça ne vous inquiète pas que, peut-être, votre héritage ne soit
pas ce monde entier que vous avez créé, mais des tas de morceaux
de plastique ?
JKR : Vous en inquiétez-vous honnêtement ? Vraiment sincèrement. Non. Je
ne m'inquiète pas de ça. Je pense que les livres seront toujours
plus importants que les bouts de plastique. Et c'est. Je le crois
vraiment, sincèrement, et peut-être que cela paraît prétentieux
mais c'est ce que je pense.
JP : Avez-vous la moindre idée, à votre niveau. Avez-vous la moindre idée
de ce que vous gagnez ?
JKR : Non.
JP : Savez-vous ce que vous avez gagné l'année dernière ?
JKR : Non.
JP : Et bien, des dizaines de millions, je suppose.
JKR : J'ai rencontré mon comptable récemment et je lui ai dit « Ils disent
dans la liste des personnes riches que je suis plus riche que
la Reine, donc ça veut dire que vous détournez un bon paquet d'argent.
» Je veux dire, je sais quand même la somme que je possède. Je
ne suis pas si ignorante. Et je ne possède certainement pas £280
millions.
JP : Combien, à peu près ?
JKR : Faut-il vous le dire ?
JP : Je ne sais pas. Vous ne pouvez pas me reprocher de vous demander.
JKR : Non, je ne vous le reproche pas.
JP : Vous avez indiqué que pour les tomes précédents, vous commenciez un
nouveau livre dès que vous en aviez fini un. Avez-vous commencé
le sixième tome ?
JKR : Oui.
JP : Ou en êtes-vous ?
JKR : Pas très loin à cause du bébé. Mais oui, je l'ai commencé quand j'étais
enceinte de David. Et j'ai continué à écrire l'autre jour, et
ce n'est pas si mal si on considère qu'il a seulement dix semaines.
Donc il occupe à peu près tout mon temps pour le moment. Mais
oui j'ai continué l'autre jour.
JP : Allons-nous découvrir dans le tome 5 pourquoi Voldemort en avait tellement
contre les parents de Harry ?
JKR : Oui.
JP : Pouvez-vous nous donner un indice.
JKR : Non. Il n'y a plus beaucoup à attendre maintenant. Allons. Oui, vous
le découvrirez dans le tome 5.
JP : Qu'acceptez-vous de nous dire d'autre sur le contenu du tome 5 ?
JKR : Un nouveau professeur de Défense contre les Forces du Mal, évidemment.
JP : Ce sera une femme ?
JKR : Oui. Et pas Fleur comme tout le monde le pensait sur Internet. Ni.
Qui était l'autre qu'ils supposaient ? Mrs Figg. Ce n'est pas
Mrs Figg. J'ai lu les deux hypothèses.
JP : Allons-nous en découvrir plus sur Rogue ?
JKR : Oui.
JP : Et sur la mère de Harry ? Avait-il le béguin pour la mère de Harry ou
bien un amour non réciproque ou quelque chose comme ça ?
JKR : D'où son animosité envers Harry ?
JP : Oui.
JKR : Vous spéculez ?
JP : Je spécule, oui, je me demande simplement si vous pouvez nous le dire.
JKR : Non, je ne peux pas. Mais vous en découvrirez plus sur Rogue, beaucoup
plus encore, en fait.
JP : Et va-t-il y avoir un mort dans ce livre ?
JKR : Oui. Une horrible, horrible mort.
JP : Une horrible mort d'un personnage important.
JKR : Oui. Je suis entré dans la cuisine après l'avoir fait.
JP : Quoi ? Tué ce personnage ?
JKR : Oui. En fait j'avais réécrit la mort, réécrit et cette fois c'était
fait. C'était définitif. Le personnage était définitivement mort.
Et je suis rentré dans la cuisine en pleurant, Neil m'a demandé,
« Qu'est-ce qui ne va pas ? », j'ai répondu, « Et bien, je viens
seulement de le tuer ». Neil ne sait pas qui c'est. Mais j'ai
dit, « Je viens de tuer le personnage. Il a répondu, « Et bien,
ne le fais pas, alors. » J'ai pensé, un docteur vous savez. Et
j'ai répliqué « Ca ne marche pas comme ça. J'écris des livres
pour enfants, je dois être un tueur sans pitié. »
JP : Les gens vont-ils être bouleversés ?
JKR : Oui. Ca m'a bouleversé. J'ai toujours su que ça allait arriver, mais
j'avais réussi à vivre dans le déni, faire vivre ce personnage
sans penser à ça.
JP : Donc vous savez ce qu'il va arriver à tous les personnages principaux
tout au long de la série ?
JKR : Oui.oui.
JP : Pourquoi s'arrêter alors qu'ils grandissent ? Ca pourrait être intéressant
de savoir ce qu'il advient à Harry une fois adulte.
JKR : Comment savez-vous s'il va rester en vie ?
JP : Oh. A la fin du tome 7 ?
JKR : Ca pourrait être une façon de mettre fin au merchandising.
JP : Ca serait tuer la Poule aux oufs d'or, n'est-ce pas ?
JKR : Et bien, oui. Je suis supposée être plus riche que la Reine, quelle
importance ?
(JK Rowling et Jeremy Paxman sont dans la cuisine)
JKR : Je suis plus heureuse maintenant que je ne l'ai jamais été dans ma
vie, vraiment.
JP : Mais ce n'est pas seulement dû au fait d'écrire, bien sûr.
JKR : Non. Mais ça a beaucoup à voir avec ça. J'avais besoin de prendre du
temps entre les livres quatre et cinq, je pense vraiment que j'avais
trop de choses à supporter. J'ai relevé ma tête, pris un bon bol
d'air, et regardé autour de moi, et j'ai vu ce qui s'était passé,
donc je me suis autorisée à prendre du repos pour pouvoir gérer
cela d'une meilleure façon. Si vous m'aviez interviewé quatre
ans auparavant, je ne pense pas que j'aurais été aussi relaxée.
JP : D'une certaine façon, vous êtes devenu une propriété publique.
JKR : Oui.
JP : Les gens pensent que vous leur appartenez, à cause de ce que vous avez
créé.
JKR : Oui, c'est absolument vrai. Je pense que nous recevons un millier de
lettres par semaine à ce bureau - Venez et ouvrez ma fêtes, écrivez
une lettre personnelle à ma fille, venez à la fête d'anniversaire
de mon fils - vous voyez ce que je veux dire. Et d'une certaine
façon c'est très touchant, le fait qu'ils pensent vraiment que
j'ai le temps.
JP : Et bien, qui ne risque rien n'a rien.
JKR : Je ne les blâme pas d'essayer, pas du tout. Sauf pour la femme qui
m'a écrit pour me demander si j'acceptais de lui verser, à elle
et son mari, une somme annuelle car ils n'avaient pas été au théâtre
depuis 3 ans - pour une lettre de sollicitation, ce n'était pas
une bonne façon d'aborder le sujet.
JP : Pour les lettres de sollicitation, vous devez en avoir des tonnes. Donnez-vous
beaucoup d'argent ?
JKR : Et bien. mmmmm. Je donne de l'argent, c'est tout ce que je peux dire.
(JK Rowling et Jeremy Paxman sont à table, et regardent des notes)
JKR : On ne doit pas voir ça de trop près. C'est le plan de l'Ordre du Phénix.
Je possède ce genre de grille pour chaque livre - En fait j'ai
à peu près douze grilles pour chaque livre. C'est simplement une
façon pour moi de me souvenir de ce qui va arriver dans chaque
chapitre afin de progresser dans l'intrigue. Et puis vous avez
toutes les intrigues secondaires. C'est simplement une façon de
garder une trace de ce qui va arriver.
JP : Et ces bouts de papier que vous accumulez élégamment dans un dossier,
ce sont des idées d'intrigues ou.
JKR : Et bien certaines d'entre elles sont totalement inutiles maintenant
car elles ont été utilisées et je les garde par sentimentalisme,
je suppose. Mais certaines sont des fiches historiques, par exemple
- sur celle-ci vous avez l'histoire des Mangemorts et je ne sais
pas si je vais vraiment en avoir besoin - mais à un moment ils
ont changé de nom - on les appelait les Cavaliers de Walpurgis.
Je ne sais pas si j'en aurai besoin. Mais j'aime le savoir. J'aime
garder ces choses sous la main.
JP : De quelle façon préférez-vous travailler ? Beaucoup de gens s'assoient
et se disent : « Je dois écrire 600 à 1000 mots par jour ». Est-ce
que vous travaillez comme ça ? Comment faites-vous ?
JKR : Non, ça fait un peu comme repeindre une barrière, non ?
JP : Non. Enfin, des tas d'auteurs renommés écrivent ainsi.
JKR : Vous faites ça, vous ?
JP : Non, j'ai dit « des auteurs renommés ». Une fois qu'il avait écrit ses
600 mots, Somerset Maugham n'hésitait pas à s'arrêter en plein
milieu d'une phrase.
JKR : Non, je ne pourrais pas faire ça.
JP : Alors comment faites-vous ? Vous écrivez jusqu'à épuisement ?
JKR : Oui, on peut dire ça. Comme un cheval battu jusqu'à ce qu'il s'effondre.
Vous pouvez très bien passer une journée à travailler très, très
dur sans écrire un seul mot, à seulement vous relire, ou éventuellement
à gribouiller quelques phrases.
JP : On sait que vous avez écrit la fin.
JKR : J'ai écrit le dernier chapitre du septième tome.
JP : Donc, vous savez où vous allez. Savez-vous comment vous y arriverez
?
JKR : Oui. Oui. Enfin, je m'autorise une marge, ce serait tellement ennuyeux
si je savais tout. Ce serait simplement relier les points entre
eux, vous voyez ? Tout n'est pas si bien planifié, mais l'intrigue
générale est là. Enfin, ce serait inquiétant si l'intrigue n'était
pas décidée à ce stade, non ? Si j'écrivais le cinquième livre
en me demandant ce que je pourrais raconter dans le six ? C'est
une histoire compliquée, alors je dois savoir ce que je fais.
JP : Vous arrive-t-il de regretter d'avoir commencé ?
JKR : Oui, mais pas pour les raisons que vous pourriez imaginer. J'ai eu
des périodes où je me demandais : « Mais pourquoi est-ce que je
fais tout ça ? », mais c'est rare. Très rare.
JP : Et pourquoi y a-t-il des périodes où vous doutez ?
JKR : Ça ne m'est pas arrivé depuis longtemps, en fait c'était pendant que
j'écrivais le quatrième tome. J'ai vécu des moments assez difficiles.
Ce qui est amusant, c'est que la presse a écrit que c'est avec
Phénix que j'ai connu la panne de l'écrivain.
JP : C'est le suivant.
JKR : Oui, celui qui est sur le point de sortir. Et on disait que je trouvais
la pression. enfin, c'est amusant parce que selon les jours, soit
je trouvais la pression trop forte et je craquais, soit j'étais
trop heureuse de m'être remariée, et ça m'empêchait d'écrire.
Et on ne pouvait pas avoir les deux en même temps. Mais en fait,
L'Ordre du Phénix ne m'a jamais posé problème, il s'est laissé
écrire très facilement, et j'a pris beaucoup de plaisir à le faire.
C'est sur La Chambre des Secrets que j'ai vraiment eu la panne
de l'écrivain. Mais très brièvement. Ce n'était pas très grave,
ça n'a duré qu'environ cinq semaines. Comparé à d'autres écrivains,
qu'est-ce que cinq semaines ? Par contre j'étais très malheureuse
vers la fin de La Coupe de Feu, je pensais même à me casser intentionnellement
un bras pour ne plus être en mesure de. Sincèrement, je n'étais
pas loin de me dire : « Comment puis-je me casser un bras, pour
annoncer à mes éditeurs que je ne peux plus écrire ? », parce
que ça me laisserait plus de temps. J'avais accepté un délai beaucoup
trop court. Mais j'ai respecté ce délai, j'ai quand même réussi,
en travaillant jour et nuit. Je n'étais pas heureuse.
JP : Donc, vous n'avez pas eu la panne de l'écrivain. Donc, la raison pour
laquelle ce livre a mis - combien, trois ans ? Trois ans depuis
le dernier tome ?. Pourquoi est-ce que ça a été si long ?
JKR : Ça n'a pas été long, en fait.
JP : Comment ?
JKR : Ça n'a pas été long. J'avais décidé. Ce qui s'est passé, c'est que
j'étais dans un tel état vers la fin de La Coupe, la presse ne
m'avait jamais prêté autant d'attention, je ne pouvais plus travailler
hors de la maison, et des tas de choses arrivaient en même temps.
C'était le contrecoup de la célébrité. Est-ce que je me sens toujours
comme ça ? Non, mais c'est parce que j'ai pris mon temps. Et durant
ces trois ans, je n'ai fait qu'écrire, parce qu j'écris tout le
temps.. Mais je ne voulais plus jamais être publiée. C'est la
grande différence. Alors quand j'ai terminé La Coupe de Feu, j'ai
dit à dit mes deux éditeurs - ils n'étaient que deux à avoir acheté
le livre - je leur ai dit que je voulais leur rendre l'avance
[sur bénéfices]. Et on aurait dit qu'ils avaient une attaque cardiaque
en direct au téléphone. « Pourquoi voulez-vous rendre l'avance
? » Et je leur ai dit que je ne voulais pas être publiée l'année
suivante, que je voulais écrire ce livre d'une manière plus relax,
que je voulais prendre mon temps. Le jour où j'avais terminé L'École
des Sorciers, j'ai commencé la Chambre des Secrets l'après-midi
même. Une fois La Chambre des Secrets fini, je me suis mise au
Prisonnier d'Azkaban dès le lendemain. Et quand je suis venue
à bout du Prisonnier d'Azkaban, j'avais déjà commencé La Coupe
de Feu, puisque les deux se chevauchaient. Il n'y avait eu aucun
temps mort, et je savais que je ne pouvais plus continuer ainsi,
que mon cerveau court-circuiterait si j'essayais. Alors ils ont
dit : « Disons qu'on reçoit le livre quand vous l'aurez terminé,
sans donner de délai » et j'ai dit « D'accord ». C'est comme ça
qu'on a fait, il n'y avait pas de date limite. Alors une fois
pour toutes, et juste pour information, je n'ai pas dépassé le
délai. Parce qu'il n'y en avait pas.
JP : Et vous n'avez pas eu le syndrome de la page blanche pour ce livre ?
JKR : Non ! J'ai écrit un quart de millions de mots, c'est assez difficile
à faire avec un syndrome de la page blanche.
JP : C'est plus long que le Nouveau Testament.
JKR : Oh mon Dieu, arrêtez de m'annoncer des choses que j'ignore. C'est vrai
?
JP : Oui. D'environ 70 000 mots.
JKR : Vous savez, les fondamentalistes chrétiens vont prendre ça comme prétexte
pour détester encore plus. Elle est plus prolixe que Dieu.
(J.K. Rowling et Jeremy Paxman à table, ils regardent des notes et des livres)
JP : Le cinquième tome - qui fait l'épaisseur d'une brique - était encore
plus long, à l'origine, non ?
JKR : En fait, non. Au début, je pensais qu'il serait légèrement plus court
que le premier. Et puis, comment dit-on ? L'inspiration est venue
en écrivant. J'avais tellement de choses à expliquer ? Mais le
sixième livre ne sera pas aussi long. J'ai dû faire subir beaucoup
de choses aux personnages, ils ont fait des tas d'allers-retours,
de tâtonnement.
JP : Y aura-t-il encore des questions sans réponse, une fin ouverte, au tome
sept ?
JKR : Oh mon Dieu, j'espère que non. J'ai l'intention de tout expliquer,
une vraie conclusion, merci, bonsoir.
JP : Alors il ne sera peut-être pas très long non plus.
JKR : Non, je pense qu'il sera long, car je n'ai pas envie de m'en séparer.
Je continuerai d'écrire. J'installerai sûrement une tout nouvelle
intrigue dans le sept, tellement ce sera difficile d'en terminer
avec lui. J'ai hâte de connaître une ère post-Harry dans ma vie,
parce que beaucoup de choses qui vont avec Harry ne sont pas si
amusantes en fait, mais en même temps, j'ai tellement peur du
moment où nous devrons nous séparer. J'ai travaillé dessus durant
ce qui - j'espère - a été la partie la plus turbulente de ma vie,
j'ai travaillé si dur, pendant si longtemps. Puis ce sera fini
et ça laissera un vide énorme.
JP : Savez-vous déjà ce que vous ferez ensuite ?
JKR : Eh bien, entre-temps, pendant les trois dernières années, j'ai écrit
un peu sur autre chose, c'était vraiment bon, et je m'y remettrai
peut-être. Je ne sais pas.
JP : Un roman pour adultes ?
JKR : Mmm. C'était juste quelque chose de complètement différent. Écrire
ça a été très libérateur.
JP : Ce sera dur pour vous, quand même. Vous devrez être publiée sous un
pseudonyme, non ?
JKR : Exactement. Mais je serai démasquée en quelques secondes. Il ne fait
pas sous-estimer les capacités d'investigation de la presse. Je
ne sais pas ce que je ferai. Est-ce que je publierai autre chose
? Je ne sais pas. Enfin, bien sûr, c'est pour être publié qu'on
écrit, parce qu'on écrit pour partager une histoire. Mais je pense
à ce qui est arrivé à A.A. Milne : il a essayé d'écrire pour les
adultes, mais on n'a jamais parlé de lui sans mentionner Tigrou,
Winnie et Porcinet. Et j'imagine qu'il m'arrivera la même chose.
Et c'est tant mieux. Dieu sait que j'ai les reins assez solides,
je ferai face. Mais j'aimerais avoir un peu de temps pour mener
une vie normale quand la série sera terminée, et le meilleur moyen
d'y parvenir est sans doute de ne rien publier pendant un moment.
JP : Ce ne sera pas une mauvaise chose de mourir en laissant derrière soi
un monde inventé de toutes pièces et le goût de la lecture redonné
aux enfants.
JKR : Oh mon Dieu, non, pas du tout. Je suis évidemment immensément fière
de Harry, et jamais je ne le renierai, et je jure que jamais,
jamais je ne regretterai de l'avoir créé. Non. Parce que j'en
suis fière et je défendrai Harry contre vents et marées.
JP : J.K. Rowling, merci.
Interview traduit par Jessica et Hedwige.
Version originale en anglais disponible sur le site de Quick
Quote Quill.