1eme PARTIE
Evan
: La légende dit que tout vous est venu d’un seul coup.
JK Rowling
: Non, non, non. Non, Harry est arrivé d’un seul coup.
Poudlard aussi, pas dans son intégralité, mais beaucoup
de personnages sont arrivés… précipitamment.
E :
Un peu comme une épiphanie ?
JK : Oui, en
quelque sorte. C’était un voyage de quatre heures en
train. Il n’aurait pas dû durer quatre heures, mais
il y avait eu du retard. Et Harry était là. Des gens
comme Nick-Quasi-Sans-Tête, Peeves, des habitants du château,
étaient là aussi. Il y avait aussi la cicatrice de
Harry, et je savais à peu près comment il l’avait
eue. C’est très étrange, mais je sais que je
ne suis pas le seul écrivain à qui c’est arrivé.
C’était comme si on m’avait donné une
information, et que j’avais dû chercher le reste par
moi-même. Ce n’était pas comme si j’avais
été en train de l’inventer. J’allais de
l’avant, puis je repartais en arrière, dans le but
de découvrir ce qui s’était passé.
E :
Comme tirer le rideau pour voir ce qui…
JK : Oui, oui.
Mais non, tout ne m’est pas venu d’un coup. Élaborer
des intrigues demande beaucoup de travail. Ce sont des intrigues
parfois assez complexes, et ça m’a pris quelques années
pour tout organiser correctement.
E :
Quand vous avez ces idées, parce que le Quidditch fait partie
de vos meilleures idées…
JK : Oui, j’adore
le Quidditch.
E :
Vraiment ? Où trouvez-vous ces idées ? Racontez-moi
les origines du Quidditch.
JK : Je peux
en parler avec virulence. Je venais d’avoir une terrible dispute
avec mon petit ami de l’époque. J’écrivais
sur Harry depuis… environ un an, je pense, cela faisait un
an à ce moment-là que je travaillais sur Harry, peut-être
un peu moins, et j’avais décidé que l’une
des caractéristiques unificatrices de toute société,
c’est le sport. Presque toutes les sociétés
ont leurs propres jeux et leurs propres sports. Et je voulais…
Puis nous avons eu cette violente dispute. Je ne sais pas s’il
y a un lien de cause à effet, j’en doute. Mais j’ai
quitté l’appartement, j’ai réservé
une chambre d’hôtel pour une nuit, et au lieu de rester
là à ressasser cette dispute et à broyer du
noir, j’ai inventé le Quidditch.
E :
Vous avez des idées en réserve ? Les écrivains
passent leur temps à griffonner en disant « C’est
l’idée qu’il me fallait ». C’est
votre méthode ?
JK : Oui. En
fait, j’ai eu une idée dans le train, ce matin. En
me levant, je me suis dit « Oh, c’est comme ça
que ça pourrait se passer dans le tome cinq ». Alors
oui, c’est merveilleux quand ça arrive, que l’idée
vient toute seule à vous.
E :
Y a-t-il un sens au fait que certaines personnes disent que les
bons sont sans intérêt et que les mauvais sont toujours
plus intéressants ? Il y a bien sûr Le Paradis perdu,
de Milton, où Dieu est ennuyeux et où le diable est
intéressant.
JK : Voyez-vous,
Harry est bon. Et personnellement, je ne trouve pas du tout Harry
sans intérêt. Enfin, il a des défauts. Ron et
Hermione sont des personnages très bons mais ils… Ma
voix semble extrêmement forte quand le train s’arrête
(rires).
E :
Non, c’est charmant.
JK : Non, les
personnages bons ne m’ennuient pas. Pas du tout.
E :
Est-ce que vous avez plus de plaisir à écrire sur
les mauvais personnages ? Parce que Voldemort est le mauvais personnage
type.
JK : Oui, il
est mauvais. Est-ce que j’ai plus de plaisir ? J’adore
écrire sur Dumbledore et Dumbledore est la bonté personnifiée.
Mais j’adorais aussi écrire sur Gilderoy, et sur Rita
aussi. Parce que je trouve que ce sont des personnages comiques.
E :
Alors vous n’en avez pas de préféré ?
JK : Non, je
ne crois pas. Je prenais beaucoup de plaisir à écrire
sur Dudley aussi. C’est très amusant d’écrire
sur lui.
E :
Les personnages finissent pas prendre la responsabilité de
leur propre vie. Ils ont leur propre histoire. Les écrivains
disent souvent « J’aimais beaucoup ce personnage et
l’an dernier, ma période la plus difficile a été
celle où j’ai dû le tuer ».
JK : Ça
va venir.
E :
Vous savez déjà qui va mourir dans les prochains tomes
?
JK : Je sais
exactement qui mourra, oui.
E :
Dont certains personnages que nous aimons et que vous aimez ?
JK : Je vais
tuer des gens que j’aime, oui (Elle fait des signes de la
main à des fans, dehors). C’est horrible, n’est-ce
pas ? (rires) Oui, ça l’est. J’ai pleuré
pour la première fois en écrivant celui-là
[le quatrième tome]. J’ai pleuré rien qu’en
l’écrivant. Ça m’a bouleversée.
E :
Il commence par un meurtre, et il y en a un autre à la fin,
mais je ne dirai pas de qui il s’agit. Et vous avez pleuré,
alors ?
JK : Oui.
E :
Mais dans le futur il y en aura davantage…
JK : (en riant)
Ce sera encore pire.
E :
Ah oui ? Comme ça, le pire est à venir ?
JK : Je ne
sais pas pourquoi je ris. C’est nerveux. (Elle regarde la
caméra) Il y a tous ces enfants qui me regardent [à
l’extérieur du train]. S’ils savaient que je
suis en train de parler du massacre de leurs personnages favoris.
(Elle agite vivement la main vers eux) Bonjour !
E :
Les gens adorent Ron, par exemple. Les enfants pensent que vous
allez éliminer Ron parce qu’il est le meilleur ami.
JK : Absolument,
ils pensent ça parce qu’il sont malins et qu’ils
ont vu beaucoup de films où le meilleur ami du héros
meurt. Du coup, ils pensent que je vais tuer Ron. Mais il y a peut-être
un piège… (rires)
E :
Maintenant que vous savez qu’ils s’y attendent, vous
allez le faire ?
JK : Non, j’ai
décidé… Je n’ai pas pris une liste en
disant : « Toi tu vas y passer, toi aussi, toi aussi ».
Dans chaque cas, il y a une raison pour la mort du personnage, par
rapport à l’histoire. C’est pour ça que
je le fais.
E :
Ce livre convient-il aux enfants de six et sept ans qui ont aimé
Harry Potter à l’Ecole des sorciers ?
JK : Ça
dépend de l’enfant, mais en ce qui concerne le mot
« convenir », je n’ai jamais dit que ces livres
étaient… vous voyez, je savais que tout ça allait
arriver. J’ai vu des mamans très fières me dire
: « Il a six ans et il les adore », et moi je me disais,
« Pour ma part je n’aurais pas dit « Vas-y, lis-le
» à un enfant de six ans ». Je ne l’aurais
pas fait, parce que je savais tout ce qui allait arriver. Je savais
que les livres deviendraient plus sombres, toute l’histoire
concerne un monde qui devient de plus en plus sombre. Alors ça
dépend de l’enfant. Ma fille va sur ses sept ans, elle
les adore.
E :
Même celui-ci ?
JK : Elle ne
l’a pas encore terminé.
E :
Ce livre est crucial, parce que tout change après celui-là.
L’univers entier semble subir une transformation radicale.
JK : Eh bien,
c’est la fin d’une ère. Le quatrième tome
marque la fin d’une ère pour Harry.
E :
Il grandit. C’est un rite de passage.
JK : Exactement.
Il n’est plus protégé. Il l’a beaucoup
été jusqu’à présent, mais il est
très jeune pour avoir une telle expérience. La plupart
d’entre nous n’acquièrent une telle expérience
que plus tard dans la vie. Il n’a pas encore quinze ans et
il a déjà subi tout ça. (Un photographe colle
son appareil photo contre la vitre et prend une série de
clichés) Il est très exposé maintenant, comme
vous le savez si vous avez lu le livre. Si ce n’est pas le
cas, je ne dirai rien.
E :
Mais être un adulte suppose nécessairement de subir
un rite de passage… (Il y a une bousculade entre le photographe
et le personnel de la sécurité. L’homme crie
« Ne me poussez pas. Ne me poussez pas ! »)
JK : Oh-oh.
Mon Dieu.
E :
Ça devient dur. (Le photographe en colère plaide sa
cause auprès de la sécurité)
JK : Mon pire
cauchemar, c’est que des enfants soient blessés dans
une bousculade. On n’est pas passé loin, parfois. Apparemment,
à notre dernier arrêt, quand nous nous sommes arrêtés
pour mettre de l’eau dans le moteur, la presse locale avait
annoncé que je dédicacerais des livres. Deux cents
enfants attendaient, mais on ne faisait pas de dédicaces.
Il n’y avait pas de sécurité. (De nombreux fans,
jeunes et vieux, grouillent autour du train. Une femme d’âge
moyen presse contre la vitre une feuille sur laquelle est écrit
: « Accordez-nous cinq minutes, s’il vous plaît
»). « Accordez-nous cinq minutes, s’il vous plaît
». (Elle cache son visage dans ses mains et soupire)
E :
Pourquoi ne prenez-vous pas cinq minutes ?
JK : (à
un assistant) Est-ce qu’on a des ex-libris [la première
page du livre, où figurent en général les armoiries
de Poudlard dans les éditions britanniques, ndlt] ? On peut
en signer quelques-uns et les donner aux gens dehors, s’ils
ont eu de fausses informations. (Les assistants forment une chaîne
pour passer un flot sans fin de livres depuis la foule jusqu’à
Rowling qui les dédicace avec une rapidité étonnante).
Merci beaucoup, c’est mieux. Allons-y, maintenant. Aux Etats-Unis,
je suis allée dédicacer dans un magasin, et ils m’ont
dit qu’ils avaient vu une seule personne signer plus vite
que moi, comme ils comptaient combien d’exemplaires j’avais
faits en deux heures, et c’était Jimmy Carter. (La
locomotive siffle) Oh non, c’est nous, ça ? (Le train
quitte lentement la station tandis que JK Rowling salue ses fans
avec exubérance. Une femme âgée agite la main
et fait semblant d’essuyer une larme sur sa joue. Une petite
fille court à la hauteur du train, agitant la main de toutes
ses forces). Oh mon Dieu, c’est déchirant. C’est
comme une lente torture. C’est toujours les petites filles
qui ont des taches de rousseur, parce que j’en étais
une. Elles me réchauffent le cœur.
E :
Incroyable. C’est très dur.
JK : Oui, c’est
dur. C’est horrible. Vous avez vu, c’est désagréable.
Un journal local a dit à des enfants de dix ans que je sortirais
pour dédicacer des livres, puis la police sur le quai me
dit : « Ne sortez pas, ça va créer des problèmes
». C’est une véritable torture, je reste assise
ici à regarder des enfants en larmes. C’est horrible.
Donc, tout ça n’est pas que du plaisir.
E :
Mais il y a du positif…
JK : Oui, beaucoup.
Le contraire de ce qu’on vient de voir, c’est très
positif, quand ils sont tout excités. Le meilleur de tout,
en fait, c’est quand des mamans viennent me dire : «
Il ne lisait jamais, avant. Il ne lisait jamais. » C’est
ça, le meilleur. En général, c’est «
il », je dois dire. Ce n’est pas souvent « elle
». En général ce sont des garçons, oui.
E :
C’est ça le truc, c’est que les livres Harry
Potter ont donné le goût de la lecture aux garçons.
C’est très gratifiant.
JK : C’est
le meilleur, oui.
2ème PARTIE
E :
Vous avez travaillé pour Amnesty International. Deux ans.
J.K. ROWLING
: Je l’ai fait, oui. Assistante de recherches. Sur les abus
des Droits de l'Homme en Afrique francophone. Cela m'a rendu vraiment
fascinante dans les dîners mondains . Je savais tout sur la
situation politique au Togo et au Burkina Faso.
E :
Et vous continuez toujours.
JK : Non, je
ne peux plus.
E :
Mais voici le résultat : Hermione et les droits des elfes.
Les droits civiques deviennent un des thèmes de La Coupe
de Feu.
JK : Oh oui.
Oui.
E :
C'est un vrai problème.
JK : C’est
vrai, c'était assez autobiographique. Ma soeur et moi étions
toutes les deux ce genre d'adolescentes (parle d’un ton dramatique).
Nous étions cette sorte de : « je suis la seule qui
ressens vraiment ces injustices. Personne d'autre ne comprend la
manière dont je le perçois. » Je pense que beaucoup
d'adolescents passent par cela.
E :
En Grande-Bretagne ils l'appellent cela « Right On »,
ou quelque chose comme ça.
JK : Exactement.
En fait, c’est amusant d’écrire tout ça
parce que Hermione, malgré ses bonnes intentions, devient
assez hypocrite. Mon coeur est entièrement avec elle lorsqu'elle
passe par cela. Elle développe sa conscience politique. Mon
coeur est complètement avec elle. Mais mon cerveau me dit,
et c’est une réflexion d’adulte, qu'en fait,
elle commet une erreur envers ces mêmes personnes qu’elle
essaie d'aider. Elle les offense. Elle n'est pas très sensible
à leur…
E :
Elle est quelque peu condescendante envers les elfes qui n'ont aucun
droit.
JK : Elle pense
que c'est si facile. Cela fait partie de ce que je disais avant,
à propos du processus de croissance : réaliser que
vous n’avez pas autant de pouvoir que vous le pensiez, et
devoir l’accepter. Alors vous apprenez que c'est un dur labeur
de changer les choses et que ça n’arrive pas en une
nuit. Hermione pense qu'elle va les mener à une glorieuse
rébellion en une après-midi, puis elle découvre
alors que la réalité est bien différente, mais
c'était amusant à écrire.
E :
Et vous travaillez sur ces questions qui, pour vous en tant que
personne, sont évidemment cruciales dans votre vie. Je veux
dire, ces questions au sujet des relations inter-raciales et des
droits civiques.
JK : Vous savez,
les enfants sont intéressés par ces choses. Ils le
sont. Ce n'est pas simplement moi. Je pense qu'ils le sont.
E :
Protégeons-nous nos enfants trop souvent contre ce genre
de choses ? Parce que, en Amérique du Nord, il y a une tendance
à penser que nous devons protéger nos enfants de…
JK : Lors de
mon dernier voyage, j'étais là-bas à Halloween.
Et j'ai été assommée qu'à la télévision
de l’hôtel… vous voyez, ma fille était
dans cette chambre d'hôtel, et trois programmes d’affilée
parlaient de « que pouvons-nous faire pour que nos enfants
arrêtent d’être effrayés par Halloween.
» Trois d’affilée. Ces émissions de discussion
qui ont lieu le jour. « Et bien, assurez-vous de les voir
accrocher des décorations, pour qu’ils puissent voir
que ce n'est pas réel. Expliquez-leur que ce n’est
que pour s’amuser.» Je me suis assise et j’ai
pensé, vous essayez de protéger des enfants contre
leur propre imagination, et vous ne pouvez pas faire cela. C'est
comme ça qu’on les effraie, à mon avis. Vous
créez la peur chez les enfants en leur disant, « ce
n'est pas effrayant. Il n'y a rien ici pour vous effrayer. »
Les enfants vont devenir peureux et ils devront vivre avec cela
et s’en occuper. Vous ne pouvez pas les empêcher d’être
effrayés. Un enfant heureux n'est pas un enfant qui n'a jamais
éprouvé la peur ou qui n'a jamais été
autorisé à faire l’expérience de la peur.
E :
La peur est une chose saine ?
JK : C'est
une chose saine. C'est nécessaire à la survie. Qu'arrive-t-il
alors à l'enfant qui a été ainsi protégé
depuis son plus jeune âge… Je veux dire, comment un
enfant pourrait parvenir à l'âge de 14 ans sans avoir
jamais éprouvé la peur, si cela était possible
? Ce serait une expérience anéantissante pour ce garçon
ou cette fille la première fois qu’il ressentirait
la peur. Vous devez l’apprendre.
E :
Contre quoi devons-nous protéger nos enfants, alors ?
JK : Nous essayons
de les protéger contre nos propres craintes, je pense, et
ce n'est pas sain. Ce n'est pas bon.
E :
Contre quoi est-ce sain de les protéger ?
JK : Bien.
Évidemment, nous voulons les protéger physiquement.
C'est un instinct naturel. Je fais la même chose avec ma fille.
Ma réaction face à un livre effrayant ou à
un film effrayant avec ma fille, ça serait de le regarder
avec elle puis d’en discuter, pour être avec elle au
moment où elle vit cette expérience. Mais ne vous
méprenez pas. Il y a des choses auxquelles je ne veux pas
que ma fille de presque sept ans soit exposée. Il y a certainement
des choses, comme le sexe explicite. Non, elle est trop jeune. C'est
comme donner à un enfant âgé de sept ans un
pistolet chargé et lui dire «joue avec ça. »
Non, c’est une autre question. Je veux dire, le sexe est quelque
chose dont nous discutons mais je ne veux pas qu’elle voie
certains films. Je ne veux pas qu’elle voie les films où
les gens s’arrachent la tête au hasard. Non, absolument
pas. Mais quand cela touche à quelque chose qui est…
E :
Parce qu’il est difficile de tracer la délimitation,
n'est-ce pas? Parce que quelqu'un pourrait lire votre livre et dire
« Et bien, il y a un meurtre… »
JK : Les gens
meurent, mais prêtez-vous attention quand ils meurent ? Avez-vous
vraiment une idée de combien il est mal de prendre la vie
d'une autre personne ? Oui, je pense que dans mon livre vous l’avez.
Je pense que vous l’avez. Je pense que vous voyez que c’est
une chose terrifiante. J'éprouve un énorme respect
pour la vie humaine. Je ne pense pas que vous liriez l'une ou l'autre
de ces morts dans le livre et penseriez, « ouais, bien, il
est parti, allons-y ». Pas du tout. Je pense qu'il est très
clair de voir où vont mes sympathies. Et ici nous avons affaire
à quelqu'un, j'ai affaire à un méchant qui
juge que la vie humaine a vraiment peu de valeur. C'est comme ça
que ça se produit : une pression sur la gâchette. C’est
fait. Pour toujours. C'est mauvais. C'est une chose terrible, terrible,
mais vous avez raison, je sais où je trace la ligne. D'autres
traceront la ligne à un endroit différent, et ils
seront en désaccord avec moi.
E :
Mais c’est un auteur avec un sens de la responsabilité
morale. Les auteurs devraient avoir un sens de la responsabilité
morale ?
JK : Quand
vient le moment d’écrire les livres, j'entreprend de
créer un ensemble de règles différent. En fait,
j'écris ce que je veux écrire. A cause de la nature
de notre discussion, je dois analyser ces règles, mais quand
je suis en train d’écrire, je ne m'assieds pas pour
penser à cela, pour me dire « c’est ma voie,
et voici les leçons morales que nous allons enseigner à
nos enfants ». Rien de tout cela ne me vient en tête.
J'écris ce que je veux écrire.
E :
Mais l'histoire doit être écrite.
JK : Exactement.
J'écris ce qu'est l'histoire. Oui. J'écris ce que
je juge que je dois dire.
E :
C'est une voie difficile, non ? Puisque l'histoire peut exiger quelque
chose qui peut défier des choses auxquelles vous tenez particulièrement.
Les gens ont demandé, « Harry a été face
à la mort et Harry est devenu orphelin. Maintenant qu'il
grandit, devra-t-il faire face à d'autres défis ?
» Des défis sexuels ? Il y a, effectivement, des béguins
dans ce livre. Quoi d’autre ? Allons-nous voir de la drogue
? Les questions que se posent les adolescents: drogues, grossesse
d'adolescente. Ce sont de vraies questions d’adolescence.
JK : Certes.
La drogue et grossesse d'adolescente, devrait-on en parler dans
la littérature pour enfants ? Oui, certainement. Je pense
qu'il y en a très peu de choses qui ne devraient pas être
traités dans la littérature pour enfants. Dans ma
tête, en fait, je ne trouve aucun sujet interdit, du moment
qu’il est traité correctement. Je ne peux pas penser
à un seul sujet. Cependant, dans les livres Harry Potter,
je ne pense pas que ce serait très fidèle à
la tonalité des livres si Hermione sort avec quelqu’un
et se retrouve enceinte à 13 ans. Non. Parce que ce n’est
pas ce genre de livre. Franchement, Harry, Ron et Hermione ont assez
à faire sans commencer à toucher à des substances
illégales. Vous savez, ils doivent faire face à d'autres
choses.
E :
Les Wiccans [ndt : la Wicca est une religion, prônant le retour
au culte de la Nature], qui ont dit « Oh, c’est fabuleux.
Elle est la championne de la sorcellerie blanche, elle la défend…»
JK : Non, je
ne le suis pas.
E :
Et les personnes en faveur des pensionnats disent « Regarde
! C'est pour ça que les internats sont une bonne chose. »
Êtes-vous une défenseuse de ces causes ?
JK : Je l’ai
déjà dit avant. Les deux seuls groupes de personnes
qui semblent penser que je suis de tout coeur de leur côté,
sont des Wiccans et des défendeurs des internats, et moi
je ne suis ni pour l'un ni pour l’autre.
E :
Vous n'enverriez pas votre enfant en internat, n’est-ce pas
?
JK : Non, je
ne le ferais pas. Non. Il y a des circonstances dans lesquelles
je peux comprendre qu’une famille le fasse. Mais vous pourriez
savoir que ma fille n’ira pas en internat. Je la garderai
avec moi avant de la laisser aller en pension. Je veux la garder
à la maison autant que je le pourrai.
E :
Une partie des gens que vous satirisez le plus dans ces livres sont
les méchants, les Malefoy, qui sont très classiques,
ils sont racistes envers les Moldus. Est-il juste de dire qu’ils
sont néo-conservateurs ou Thatcheristes [ndt : personnes
en faveur du système politique attribué au gouvernement
de Margaret Thatcher] ? (Signe d'assentiment de JK.) Y a-t-il un
réel axe politique que vous développez ?
JK : Je pense
que dans ce livre également, vous comprenez entièrement…
Avec Voldemort, je n'ai pas voulu créer un représentant
stéréotypé du méchant, quand vous mettez
un chapeau noir sur sa tête et que vous dites « Bien,
maintenant tue ce type parce qu'il est méchant. »
E :
Less Dursley sont-ils plus représentatifs du méchant-type?
JK : Oui et
non. Vous rencontrerez des Dursley, en Grande-Bretagne. Vous verrez.
Je les ai à peine exagérés. Hum, Voldemort.
Dans le deuxième livre, la Chambre des Secrets, en fait,
il est exactement comme je l'ai dit précédemment.
Il prend ce qu'il pense être un défaut en lui, en d'autres
termes la non pureté de son sang, et il le projette sur les
autres. Il est comme Hitler et son idéal arien, auquel il
ne s'est pas du tout conformé lui-même. Et donc Voldemort
agit de même. Il prend sa propre infériorité,
et la rejette sur d'autres personnes, et essaye d'exterminer en
elles ce qu'il déteste en lui.
3ème
PARTIE
E :
Jo, la légende raconte qu vous êtes cette mère
qui vit d’allocations dans un appartement sans chauffage à
Edimbourg. Vous écrivez sur Harry Potter deux heures par
jour.
J.K. ROWLING
: Sur des serviettes, il paraît (rires). Un journaliste américain
m’a un jour demandé, « Est-ce que c’est
vrai que vous avez écrit le tout le premier tome sur des
serviettes ? » J'avais envie de répondre, « Non,
sur des sachets de thé. Je les gardais pour ça. »
E:
Quelle est la véritable histoire ?
JK : En ce
qui concerne la véritable histoire, comme pour la plupart
de ce qui paraît dans la presse, il y a un grain de vérité
et des tonnes d’exagérations.
E:
(Avec un faux accent britannique) Mon Dieu !
JK : (rires)
Pendant six mois… En fait la vérité n’est
pas si éloignée, mais certains faits ont été
changés.
E:
Vous étiez au chômage ?
JK : Oui.
E:
Vous n’aviez pas de chauffage dans votre appartement ?
JK: Si. Nous
avions du chauffage. Oui, nous avions le chauffage. Nous avions
des souris aussi, mais nous avions du chauffage. Pendant six mois
j'ai vécu exclusivement des allocations. C'était horrible.
J’ai trouvé un poste de secrétaire à
temps partiel. C’était vraiment du temps partiel, quelques
heures par semaine. À l’époque la loi interdisait
de gagner plus de quinze livres sterling par semaine en plus des
aides, et quinze livres ne vous rendaient pas beaucoup plus riche
; mais au point où on en était, quinze livres représentaient
beaucoup d'argent. J'en avais besoin. Donc j'avais ce travail et
nous vivions toujours principalement grâce aux allocations.
Puis je suis retournée à l'université pour
obtenir un diplôme d’enseignant, grâce auquel
je pourrais enseigner le français en Ecosse. Donc nous étions
toujours fauchées, Mais nous ne vivions plus uniquement d’allocations
car j'avais une subvention. Et par la suite, bien que j’aie
eu encore des aides car je n’enseignais pas à temps
complet, nous n’avons plus jamais été aussi
fauchées que pendant les dix-huit premiers mois à
Edimbourg. Nous étions vraiment, vraiment fauchées
à ce moment là.
E:
Jo, pourquoi avez-vous décidé d’écrire
pendant cette période ? La plupart des mères célibataires
qui sont fauchées et qui ont un enfant veulent principalement
gagner de l'argent. Elles oublient leurs ambitions d’écriture,
elles oublient leurs rêves. Elles doivent avoir l’esprit
plus pratique.
JK : Eh bien,
je me suis sentie coupable de continuer à écrire,
très coupable en réalité.
E:
Aviez-vous le sentiment qu’en tant que mère vous n'étiez
pas … ?
JK : Pas la
première année, parce que j'essayais à tout
prix de trouver un travail rémunéré. Et en
plus, aucune garderie ne voulait prendre un si jeune bébé,
à moins qu'elle coure un danger. Une fois mon diplôme
d’enseignante en poche, je me suis vraiment sentie coupable
de continuer à écrire. Je me disais : « Peut-être
que tu devrais rentrer. Peut-être que tu devrais retourner
à Londres (où je vivais avant), et obtenir une place
de prof à temps plein là-bas et laisser tomber tout
ça. Je me demandais si je poursuivais des chimères
et si je sacrifiais le bien-être de ma fille… pas le
bien-être parce qu'elle était une petite fille très
heureuse. Mais peut-être qu’elle aurait pu avoir plus
de jouets et plus de vêtements.
E :
Vous aviez l’impression de rater votre carrière de
maman ? Vous êtes fauchée. Et soudain vous avez un
enfant.
JK : J’étais
en colère. Je ne sais pas si j’avais l’impression
d’avoir échoué, mis ma vie était assez
sinistre. Je me suis senti très fâchée après
moi-même. Pendant une très longue période j'étais
très colère contre moi-même.
E:
Comme si vous n’étiez pas à la hauteur ?
JK : Oui. Et
en même temps j'étais fière de moi, c'est la
vérité. Il y a des gens, des femmes, qui vont nous
regarder, et qui se trouvent dans la même situation que moi
à l’époque, et il faut que je leur dise : «
Quand je repense à mon passé maintenant, je ne trouve
pas que j’étais une ratée ». Quand j’y
repense je suis très fière de ce que j’étais,
car je faisais le travail de trois personnes. J’avais un emploi
rémunéré. C’est moi qui rapportais l’argent
à la maison, et j'étais la mère et aussi le
père. Si vous pensez que c’est facile, vous n’avez
qu’à essayer. Et j'écrivais un roman. Donc je
ne regarde pas du tout derrière moi en pensant « quelle
nulle ». Vous savez, ce n’est pas être un raté
que de vivre avec si peu d’argent, de se débrouiller
pour tenir toute la semaine avec et bien nourrir votre enfant à
bon marché. Et toujours faire passer votre enfant en premier.
E:
Il y a maintenant une légende qui dit que vous vivez recluse
ou que la presse vous est montée à la tête et
que maintenant vous dites « Plus d'interviews. »
JK : Non. Et
ça ne m'ennuie même pas. Ça me fait rire, vraiment.
Ça fait aussi beaucoup rire mes amis. Je ne suis pas recluse.
Il y a deux raisons pour lesquelles je n'ai pas fait beaucoup d'interviews
récemment. Premièrement, comme je l’ai déjà
dit, je voulais travailler. Une interview me prend la moitié
de la journée et je travaillais dix heures par jour sur ce
livre. Je n’en avais pas le temps. Pour moi, c'était
une perte d'énergie. Je préférais écrire
le livre. Et l'autre chose, et j’ai déjà eu
l’occasion de remarquer que les gens l’oublient vite,
c’est que je suis toujours une mère célibataire.
Les gens semblent s’attendre à ce que dès que
vous gagnez de l’argent, vous engagiez un bataillon de bonnes
d'enfants et ensuite vous pouvez partir faire ce que vous voulez.
Et bien, le fait est que je veux élever ma fille et ça
veut dire passer du temps avec elle. Je ne pourrais pas le faire
si je devais faire des tournées promotionnelles dans tous
les pays où je suis publiée. Donc c’est pour
des raisons très prosaïques que je suis restée
discrète récemment.
E:
Et pourtant la notoriété envahit votre vie. Nous sommes
dans le train et à chaque arrêt il y a des centaines
d’enfants et de parents...
JK : C’est
le bon côté.
E:
Vous aimez ce genre de choses.
JK : J’aime
vraiment, vraiment, vraiment rencontrer les enfants, parce que c’est
comme enseigner, mais sans souffrir, vous voyez. J'étais
enseignante et j’aimais ça. Et le contexte dans lequel
je rencontre des enfants à présent, c’est très
amusant. Je n’ai pas à les discipliner. S’ils
veulent chahuter, je peux participer si je veux. C'est amusant.
Je ne m’étais jamais attendue à ce qu’on
parle de moi dans la presse. Mon ambition pour ces livres, franchement,
c’était d’avoir des critiques. Beaucoup de livres
pour enfants ne font même pas l’objet d’une critique,
qu’elle soit bonne ou mauvaise. Non, je ne m’étais
jamais attendue à ce que les journaux parlent de moi, alors
c’est une expérience étrange quand ça
vous arrive.
E:
La question qu’on vous pose toujours, c’est est-ce que
la célébrité vous a changée ? Vous êtes
différente d’avant ? Ce n’est pas ma question,
mais est-ce que vous vous protégez du changement ? Vous dites
vouloir rester mère célibataire, mais est-ce possible
maintenant que tout le monde vous connaît ?
JK : En réalité,
je ne suis pas une personne très reconnaissable. Je n'ai
aucune difficulté à me promener où que ce soit,
à faire des choses normales sans que les gens me reconnaissent.
Les rares fois où ça arrive, les gens sont extrêmement
gentils. Personne n’est jamais venu me voir pour être
désagréable envers moi, au contraire. Donc c'est tout
à fait possible pour moi de mener une vie normale. Et j’espère
que ce sera toujours le cas. Parce que vous savez, je n’aimerais
pas vraiment que ça change. Je détesterais ça,
en fait.
E:
Il y a aussi une fameuse anecdote comme quoi vous écrivez
dans les cafés. Pouvez-vous toujours écrire dans des
cafés ? Avec trente-cinq millions de livres vendus ?
JK : Oui.
E:
Personne ne vient vous déranger ? « Puis-je avoir votre
autographe ? » quand vous êtes au milieu d'une phrase
importante ?
JK : C’est
très rare.
E:
Il y a une différence entre l’attitude des fans américains
et britanniques ? En Amérique vous êtes une célébrité
et les Américains traitent leurs célébrités
d’une façon peut-être différente de celle
dont vous êtes traitée ici.
JK : Je n’aime
pas l’idée d’être une célébrité.
Vraiment pas. Ça me met mal à l’aise.
E :
C’est naïf de faire comme si vous n’en étiez
pas une ?
JK : Dans un
certains sens, je pense que c’est réaliste, parce que
ce n’est pas pour moi que les enfants viennent me voir. Je
pense que je pourrais être un homme, une femme, vieille, jeune.
Du moment que je serais celle qui a écrit ces livres, ils
voudraient voir la personne qui a écrit les Harry Potter,
mais je ne pense pas que ce qui les attire, c’est moi. Je
sais qu’ils ne viennent pas pour moi, vous savez, pour voir
à quoi je ressemble ou de quoi j’aime parler. Ils sont
simplement curieux de découvrir qui a écrit ces livres.
Alors j'espère, et je crois, que ce sont les livres et pas
moi qui les attirent.
E :
Ce matin j'ai lu dans le Daily Mail…
JK : (avec
une grimace) Oh. Mais pourquoi avez-vous lu ça ?
E :
Parce que j’étais à l'hôtel. C'était
le seul journal qu'ils nous donnaient.
JK : Bon. Excuse
pitoyable.
E :
Je sais mais c’est la meilleure que j’avais. Vraiment.
JK : (d’un
ton théâtral) Bon alors, qu’est-ce que le Daily
Mail raconte maintenant ?
E :
Le Daily Mail dit que quelqu’un vous traque. Est-ce que c'est
le mauvais côté de la notoriété ?
JK : Vous savez,
ils pourraient me contacter et me parler de ce harceleur présumé,
parce que je pense que je le saurais probablement si j'en étais
la victime. Ce n'est pas une chose agréable, d’accord,
mais parfois j’ai l’impression que : « Oh, allez,
que quelqu'un la traque! Nous sommes à court d'histoires.
Faites preuve d’initiative ! Allons, elle est sûrement
assez importante pour être harcelée ?» Eh bien
non, personne ne me traque. Donc je voudrais remercier le Daily
Mail pour inviter les gens à le faire, c'est très
gentil de leur part.
4eme
PARTIE
E:
Il est temps de parler des Détraqueurs.
J.K. ROWLING:
Ah, les Détraqueurs, oui.
E:
Les Détraqueurs, hem, ils incarnent la dépression.
(JK - Mmm hmm.) Maintenant, je déteste faire des rapprochements
biographiques entre les personnages et l’auteur, mais c’est…
(rires)
JK: Vous pouvez
en effet. (rires) Allons-y pour ça.
E:
Mais il y a un rapprochement biographique à faire et nous
en avons parlé, nous avons parlé du fait que la dépression
dans votre vie a été, non seulement, évidemment
un moment horrible, mais quelque chose qui finalement a été
important pour votre vie.
JK: Hum, j’ai
été dépressive, hum, je dirais –disons
en 1994- que j’ai souffert des symptômes de ce que l’on
m’a dit être une dépression. Je ne sais pas,
on m’a dit que c’était ça. Oui, j’ai
été dépressive pendant un certain temps. Je
n’ai pas honte de ça, il y a des tas de gens qui sont
dépressifs et je n’en ai plus jamais souffert depuis,
et j’ai survécu à ça. Mais les Détraqueurs,
euh, c’est dur de retracer les origines des choses. J’ai
vu ces choses et j’ai su ce que je voulais qu’ils fassent,
mais ils ont évolué, et lorsque j’ai vraiment
réfléchi à ce qu’ils faisaient, j’ai
compris que c’était cela que j’étais en
train de mettre en place. C’est généralement
de cette manière que les choses se passent pour moi. Je ne
me dis pas consciemment « et maintenant, je vais créer
quelque chose qui incarnera la dépression », mais lorsque
je le crée, je prends conscience de ce que je fais. Vous
savez, de ce qui se joue inconsciemment. Donc ils créent
une absence de sentiment, ce qui est mon expérience de la
dépression. C’est une absence…
E:
C’est votre définition.
JK: (Acquiesce)
Mmm.
E:
Maintenant, est-ce que vous diriez que pour vous, vous savez, toutes
les vies ont des sortes de moments cruciaux, mais diriez-vous que
pour vous, cela a été un moment crucial de votre vie,
un tournant ?
JK: Faire une
dépression?
E:
Oui, je veux dire, est-ce que ça a été une
sorte de fond que vous avez touché ? (JK reste pensive) Qu’est-ce
qui s’est passé ? C’est après votre mariage,
c’est ça ?
JK: Oui. Oui.
C’est ça. Je pense que c’est ce qu’on pourrait
appeler une dépression par réaction, comme si lorsque
certaines choses vous arrivent, et bien c’est visiblement
ça votre réaction. J’y pense souvent, j’ai
eu quelques années très mouvementées. J’ai
changé deux fois de pays. Ma mère est morte. Cela
a été le gros point. Rien n’a été
plus important que la mort de ma mère.
E:
Exact. Et vous aviez 25 ans ?
JK: J’avais
25 ans. Cela a inauguré ce genre de série de contretemps
et de mésaventures. Je me suis mariée. Nous nous sommes
séparés. Nous avons divorcé. Avoir ma fille
a été une chose magnifique mais une énorme
responsabilité aussi, et je me suis beaucoup inquiétée.
J’étais continuellement inquiète d’être
à ce point fauchée, et, vous savez, d’élever
une fille.
E:
C’était ça le truc : que votre mère décède,
lorsque vous aviez 25 ans.
JK: Oui, et
elle était très jeune. Elle avait 45 ans.
E:
Et c’était…
JK: Ce n’était
pas bien.
E:
Visiblement c’était ce qu’il y avait de pire.
JK: C’est
la pire chose qui me soit arrivée. C’est certain. Oui.
Ca a été un choc terrible. Rétrospectivement,
vous voyez, je me sens coupable. Je pensais, et bien, comment peux-tu
être choquée, tu pouvais voir combien elle était
malade. Mais je ne m’attendais pas à être mise
au pied du mur. Cela devait avoir à voir avec le fait qu’elle
était encore très jeune. Je pensais qu’elle
serait encore là pour des années encore, et, hum,
elle n’était plus là. Alors ça a été
un vrai choc. C’était horrible.
E:
Et ça a commencé ?
JK: Et bien,
en fait, je pense que ce qui est, ou était, typique de moi,
c’est que même si j’étais dans la peine,
j’ai quasiment, hum, je ne voulais pas rester tranquillement
dans la peine. Je veux dire que je pense que c’est un bon
moyen de se mettre soi-même dans une belle dépression.
Vous savez : refuser de ressentir les choses, essayer de continuer
à aller de l’avant, de continuer à avancer.
Donc je suis partie à l’étranger. En réalité,
j’ai passé des moments merveilleux à enseigner
à l’étranger. C’était l’un
des meilleurs boulot que j’aie jamais fait, au sens de petit
boulot, parce que j’ai toujours su que rien de tout cela n’était
vraiment pour moi. J’ai toujours su que j’allais écrire.
Et j’ai rencontré mon ex-mari, et etc. J’ai eu
une belle petite fille. Mais ça m’a en quelque sorte
rattrapée lorsque j’ai quitté mon ex-mari, parce
qu’il m’a fallu m’asseoir tranquillement et réfléchir
à ce qui était arrivé. Voilà où
j’en étais, j’étais brisée, je
n’avais pas de boulot. Pour la première fois dans ma
vie d’adulte, je ne travaillais pas. Très inquiète
au sujet de l’argent et de comment j’allais élever
ma fille. Et tout cela arrivait en quelque sorte d’un coup.
Alors oui, j’ai été plutôt déprimée.
E:
A travers vos livres, on a l’impression que votre maman vous
manqué et que vous vous arrangez avec cette conversation,
comme le fait Harry : en regardant une ombre mais sans pouvoir revenir
en arrière.
JK: S’arranger
avec le deuil constitue une grande part des livres. Faire face à
la perte. Oui. Je ne peux pas développer autant que je le
voudrais ce sujet parce qu’il y a encore trois livres à
venir et, ce n’est pas un truc de vendeur, vous pouvez les
prendre dans une bibliothèque et vous n’avez pas à
les acheter, je veux juste dire que je ruinerais les livres à
venir si je développais davantage à ce sujet. Mais
c’est vraiment un thème central, s’arranger avec
la mort, oui, et faire face à la mort.
E:
Dans l’un des livres, Dumbledore dit : “la mort n’est
que le pas suivant vers le grand mystère, la grande aventure
suivante”, je crois que c’est la citation.
JK: J’aimerais…
je ne suis pas aussi sage que lui. J’aimerais voir les choses
de cette manière. Et à bien des égards, je
les vois de cette manière. La mort continue à me faire
peur, comme elle fait peur à la plupart des gens. Parce qu’il
y a encore tant de choses que j’aimerais faire et je ne veux
pas quitter ma fille tôt.
E:
C’est difficile à accepter.
JK: (Acquiesce)
Mmm hmm. C’est quitter les gens. Je pense que c’est
surtout quitter ses enfants. C’est le plus dur.
E:
Quand vous parlez de s’arranger avec la mort et la perte dans
les livres, est-ce que cela vient de vous –parce que vous
avez perdu votre mère – est-ce que cela vient d’une
spiritualité personnelle ? Je veux dire, êtes-vous
quelqu’un de religieux ? Votre spiritualité vient-elle
de quelque part en particulier ?
JK: Je crois
en Dieu. Cela a l’air de gêner les gens de Caroline
du Sud plus que tout. Je pense qu’ils trouvent ça…bon,
c’est mon expérience un peu limitée, mais ils
ont plus de problème avec le fait que je croie en Dieu que
si j’étais une athée non repentie.
E:
Vous croyez vraiment en Dieu.
JK: Oui oui.
E:
En la magie et…
JK: La magie
au sens où elle apparaît dans mes livres non, je n’y
crois pas. Je ne crois pas à cela. Non. Non. C’est
si frustrant. Une fois de plus, il y a tant de choses que j’aimerais
dire. Revenez quand j’aurai écrit le tome 7. Mais peut-être
que là vous n’aurez plus besoin d’en parler parce
que vous aurez trouvé de toute façon. Vous l’aurez
lu.
E:
Mais dans votre vie personnelle, je veux dire, êtes-vous pratiquante
?
JK: (Acquiesce)
Mmm hmm. Et bien j’y vais plus souvent que simplement pour
les mariages et les communions. Oui, je le suis.
E:
Et dans votre vie personnelle, est-ce que l’église
et ce genre de spiritualité vous a aidé à faire
face à la perte de votre maman ?
JK: Non, en
fait ça ne m’a pas aide à ce moment là.
Non. (Secoue la tête)
E:
Alors vous y êtes revenue après.
JK: Oui, je
dirais cela. J’ai quelques problèmes avec les religions
conventionnelles organisées. Quelques problèmes (longue
pause). Mais… oui, c’est un endroit où j’irais
dans un moment de problèmes. C’est probablement un
endroit où j’irais dans un moment de problèmes.
Je n’attendrais pas qu’il me fournisse toutes les réponses,
parce que je voudrais en trouver certaines en moi.
E:
Oui, mais l’aspect institutionnel, vous savez, les règles…
JK: J’ai
quelques problèmes avec certains aspects de cela. Oui, c’est
vrai.
E:
Et certains m’ont demandé de vous demander… une
question très habituelle… comment a-t-elle cru en elle
? Elle touche le fond. Elle est une mère célibataire.
Y a-t-il eu un moment où vous vous êtes dit “je
vais quand même le faire, peut importe” ou était-ce
une force en vous ?
JK: C’était
quelque chose que j’allais faire, forcément. Vous savez,
j’ai toujours essayé d’écrire et de publier
un livre. Ca n’a pas été le premier livre que
j’aie écrit. Je veux dire que L’Ecole des Sorciers
n’a pas été le premier livre que j’aie
écrit, même si je n’avais jamais essayé
de publier les autres. C’étaient des romans pour adultes.
E:
Des romans pour adultes ?
JK: Mmm hmm.
Mais au fond de moi, j’ai vraiment senti qu’ils n’étaient
pas à la hauteur et je pense que j’avais totalement
raison à ce sujet. Ce n’est pas juste un effet de modestie.
Harry en revanche, j’y croyais d’autant plus que je
ne croyais pas en ceux là, et j’étais absolument
décidée à le faire. Ce n’était
pas tant que… bon, il doit y avoir de la confiance en soi
là-dedans. Il a dû y en avoir, n’est-ce pas ?
E:
Quelqu’un d’autre a-t-il cru en vous ?
JK: Non. Bon,
je pense que… c’est un peu cruel à dire pour
mes amis. Hum, quelqu’un d’autre ? Certainement une
personne, une amie, lorsque je lui ai dit que j’écrivais
un roman. Vous voyez, je suis toujours très secrète
en ce qui concerne mes écrits, et je crois qu’elle
a finalement pensé : des illusions.
E:
Du genre « oh mon dieu, la revoilà, il ne manquait
plus que ça » ?
JK: Oui. (sarcastique)
Et maintenant, je vais écrire un roman, parce que je vais
me faire un tas d’argent avec ça. Je trouve que c’est
très ironique lorsque je dis ça parce que je pense
que c’est comme ça qu’elle me voyait à
cette époque. La vérité, c’est que je
ne me suis jamais attendue à gagner de l’argent en
écrivant. J’ai cru qu’enseigner me ferait gagner
assez d’argent pour qu’on puisse vivre, et je me suis
sentie coupable, lorsque le livre a été accepté
pour la publication, de ne pas avoir cherché avec la même
ténacité à avoir un emploi d’enseignante
à plein temps. Je faisais mes heures, mais j’espérais
toujours trouver une excuse pour avoir un jour par semaine de libre
pour écrire.
E:
Pensiez-vous que vous aviez du talent ?
JK: Et bien
j’espérais en avoir. C’était un vrai soulagement
de trouver… je me suis douté qu’il y avait une
chose que je pouvais faire bien, et c’était écrire.
E:
Est-ce que vous êtes douée pour autre chose ?
JK: Non. Non,
je ne suis pas douée pour la plupart des autres choses au
point que c’en est embarrassant, je pense. Je suis quelqu’un
de très désorganisé. J’étais une
horreur dans les bureaux. Je suis douée pour enseigner l’anglais
comme langue étrangère. J’ai aimé faire
ça. Je pense que j’étais bonne là-dedans.
Je suis douée pour garder les poissons tropicaux. Voilà,
je n’arrive pas à trouver grand chose d’autre
en fait, vraiment.
E:
Est-ce que vous vous souvenez du moment où vous avez eu…
où vous avez trouvé l’issue, après les
refus, le moment où voilà, ça y est, vous avez
un éditeur ?
JK: C’était
le meilleur moment… ça paraît très, enfin,
mais c’est vrai. Après la naissance de ma fille, le
jour le plus joyeux de ma vie est celui où j’ai eu
ma fille dans mes bras à l’hôpital. Une sensation
indescriptible. Et le deuxième au jour d’aujourd’hui,
c’est le moment où mon agent m’a téléphoné
et m’a dit « on a le contrat avec Bloomsbury ».
Rien de mieux ne m’est arrivé depuis et même
en tenant compte des chiffres des ventes, de la liste des best-sellers
du New York Times et de tout cela, ce qui, ne vous trompez pas,
est merveilleux : rien n’a égalé le moment où
j’ai su que mon livre allait être publié. C’était,
ahh, quel moment ! J’étais sur un nuage pendant plusieurs
jours, je ne peux pas vous raconter ça.
Interview traduite par Hedwige, Phenix,
Myrddin et Zarbeth.
Version originale en anglais disponible sur le site d'Accio
Quote.
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