Des deux côtés de l’Atlantique, Harry Potter à l’Ecole des Sorciers (Bloomsbury, 1997), a récolté de prestigieux awards, des critiques laudatives, et des fans fidèles. Joanne Rowling, un ancien professeur et l’auteur de ce qui sera une série de sept livres sur Harry Potter, a voyagé aux Etats-Unis en Octobre 1998. Durant son séjour à Chicago, elle a parlé avec moi à propos de ses raisons d’écrire ces livres, dont le deuxième, Harry Potter et la Chambre des Secrets, est sorti dans ce pays en juin 1999 par Scholastic et reçoit des éloges et des critiques positives égales à celles pour le premier Harry. Le troisième livre de la série, Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban, sera publié aux Etats-Unis par Scholastic à l’automne 1999.

JOM : Vos observations des enfants et leurs réponses à l’humour ont-elles influencé votre choix des sujets pour Harry Potter ?

Rowling : On me demande souvent si j’écris sur ce personnage parce que j’ai eu une fille ou si ça vient du fait que j’étais professeur. Mais je n’avais pas encore ma fille quand j’ai commencé ces histoires, et je n’enseignais pas à cette époque. Le point de vue des enfants vient de mes souvenirs, sur ce que c’était vraiment d’être un enfant, plutôt qu’une réponse à ce que je pense que les enfants aimeraient lire. Mon sens de l’humour a été décrit comme « impitoyable » par le journal anglais The British Guardian. Ca m’a légèrement surprise. Une certaine partie de l’humour dans le livre est assez noire, mais c’est lié au sujet, quand vous parlez de fantômes et de créatures féroces.

JOM : Dans ce pays, nous avons récemment vu beaucoup de romans pour jeune public que l’on dit « glacés » par leurs préoccupations des problèmes personnels et sociaux sérieux. Avez-vous pris intentionnellement une autre direction avec Harry Potter ?

Rowling : Oui, c’est ce que j’essaie de faire avec les livres dans cette série. Ils peuvent être vus comme un antidote à tous ces sinistres livres. Il y a eu la même tendance dans le monde de la publication en Grande-Bretagne. Nous avions une surabondance de livres très réalistes, ternes, sombres. Certains d’entre eux sont brillamment écrits et je pense que ça serait une tragédie s’ils n’avaient pas été écrits. Cela dit, je ne pense pas que Harry soit un livre entièrement frivole. Il y a des choses difficiles que traverse Harry sous nos yeux – le deuil en est clairement une – mais ce n’est pas un livre à « morale » dans le sens où je m’assiérais après l’avoir lu et je penserais à ce que le livre raconte, ce qu’il essaie d’expliquer. Vous voyez Harry gérer les évènements de sa vie, et j’espère que tout cela est intrinsèque à la série. Mais il n’est pas prévu que ce soit l’intrigue principale de l’histoire. Et je pense que dans une histoire réaliste et terne mal écrite, ce sentiment de broyer du noir se retrouve dans chaque page.

JOM : Comme vous avez écouté et parlé à des enfants américains, trouvez-vous qu’ils se lient aussi facilement aux personnages et aux lieux que les enfants britanniques le font ?

Rowling : Apparemment oui, et ça ne me surprend pas. En fait, le livre se passe dans un contexte très différent de ce que peuvent avoir vécu la plupart des enfants anglais et écossais. Je n’ai pas été éduquée dans un pensionnat et je n’ai aucune connaissance des pensionnats. Je suis allé dans ce qu’on appelle une école d’état, ce que vous appelez une école publique ici. Donc, Hogwarts est bien évidemment un lieu imaginaire. Et l’idée que les enfants doivent chercher un peu pour comprendre ce qu’est vraiment un préfet n’est pas aussi difficile. Et puis, la nature humaine –et la nature d’enfant – est universelle.

JOM : Est-ce que beaucoup de changements ont été faits par votre éditeur américain avant que le premier livre ne paraisse ici ?

Rowling : J’étais d’accord sur ce point avec mon éditeur américain, Arthur Levine – qui est brillant, je pense. Nous avons établi comme règle principale que nous n’effectuerions de changement que dans les cas où nous penserions tous les deux que ce que j’avais écrit créerait une image erronée dans l’esprit des enfants américains. A la base, je pensais, « Je ne veux pas qu’ils changent ne serait-ce qu’un mot ». Mais après, j’ai pensé que cette attitude équivalait à vouloir que les enfants français apprennent parfaitement l’anglais avant de pouvoir lire les livres. Nous traduisons des livres pour les gens qui parlent une autre langue et nous n’y voyons aucun mal. Mais si j’utilise le mot « jumper » [ndlt : pull] pour faire référence à « sweater », un enfant américain verra Harry porter un habit complètement différent et embarrassant pour un garçon de ce pays. Donc, je ne pense pas que j’ai vendu mon art en changeant ce mot. Il y avait des moments dans le livre où, si nous ne faisions pas de changement, les enfants américains ne comprendraient pas une blague ou un évènement, tandis qu’un Italien ou un Français comprendrait. Le traducteur aurait choisi un mot approprié. Nous n’avons véritablement changé que peu de choses, mais chaque changement n’était effectué que pour une raison : Arthur et moi pensions que sans ces changements nous mettrions inutilement des bâtons dans les roues des lecteurs.

JOM : Le titre du premier livre a été changé par rapport à la publication anglaise, Harry Potter and the Philosopher’s Stone. Le changement pour Sorcerer’s Stone met en évidence la magie et la sorcellerie. Avez-vous reçu des réactions de parents ou d’autres adultes qui critiquaient le traitement de sujets occultes dans vos livres ?

Rowling : J’attendais la même réaction en Grande-Bretagne, bien que d’après ce que j’ai entendu dans les médias américains, je ne pense pas qu’il y ait le même degré d’anxiété à propos de cela dans Grande-Bretagne. Si ce sujet offense des personnes, ce n’est pas mon intention, mais je ne crois pas en la censure, quel que soit l’âge du public, et je voulais écrire sur cela. Le livre parle du pouvoir de l’imagination. Ce que Harry apprend à faire, c’est développer son potentiel. La sorcellerie est simplement une analogie que j’utilise. Si quelqu’un s’attend à ce que ce soit un livre qui incite vraiment à apprendre la magie, ils seront déçus. Ne serait-ce que parce que l’auteur ne croit pas en cette forme de magie. Ce que je veux dire, c’est que les enfants ont un pouvoir et peuvent l’utiliser, ce qui, en soi, peut être plus effrayant pour certaines personnes que l’idée qu’ils apprennent effectivement des sortilèges dans mon livre.

JOM : Pensez-vous que les enfants comprennent consciemment les différents niveaux de compréhension du livre ?

Rowling : Certain oui, c’est sûr, car je les ai rencontré. En fait, j’ai rencontré ce matin un garçon qui m’a posé une question dont je pensais que tout le monde me poserait quand le livre est sorti, mais c’était la première fois qu’on me l’a posait. Il m’a dit : « Si l’oncle et la tante de Harry le haïssent tellement, pourquoi ne se contentent-ils pas de le mettre à la porte ? » Et bien, c’est une question très astucieuse, et la réponse n’arrivera que dans le tome cinq. Mais j’avais pensé que je devrais l’expliquer chaque jour lorsque le livre serait devenu populaire. Je me demandais pourquoi personne ne me posait la question, car j’aurais voulu le savoir si j’étais un des lecteurs. Donc finalement, Denis, de Chicago, a réalisé que c’était une question fondamentale qui méritait d’être posée. Il a raison, et il aura la réponse dans le tome cinq.

JOM : Saviez-vous depuis le début que Harry Potter devrait être une série de livres ?

Rowling : Oui, j’avais prévu que ce soit une série dès le tout début, et quand j’ai rencontré pour la première fois mon éditeur britannique, j’ai su que, à un moment de ce premier rendez-vous déjeuner, je devrais dire, de façon tentante, « Pensez-vous que vous seriez intéressé par une suite… ou deux ? Parce que, pour être honnête, j’en ai prévu sept. » Des morceaux de certains d’entre eux étaient déjà écrits, donc je pensais, s’il vous plait, faites qu’il en veuille plus. Grâce à Dieu, après le premier plat, il s’est tourné vers moi et m’a dit, « Donc, nous pensons bien à des suites. ». Et j’étais si soulagée. Je pense que j’ai dû répondre, « Oui, je pense que je peux en faire une – ou six. » Et il aimait bien ce projet. Il y a quelques questions qui restent sans réponse à la fin de chaque livre, donc l’histoire peut continuer. De la façon dont j’imagine cela, il va y avoir sept années à l’école des sorciers, puis Harry sera un sorcier à part entière et sera alors autorisé à faire de la magie en dehors de l’école. Donc, vous le verrez pendant sa dernière année à Poudlard. Le chapitre final du tome sept est écrit. C’est pour ma propre satisfaction, pour que je sache où je vais quand j’écris les autres livres. Et ce dernier chapitre parle de ce qu’il advient ensuite des survivants. Car il y aura des morts.

JOM : Harry est assez rebelle, quand il se retourne contre sa terrible famille. C’est un personnage bien développé, ni victime ni saint.

Rowling : Oui, il veut se venger de Dudley. C’est un humain, et nous, les lecteurs, voulons qu’il se venge de Dudley. Et, à long terme, croyez-moi, il le fera. Mais Harry, de façon innée, est également honnête. Il n’est pas cruel. Il a le sens de la compétition, c’est un battant. Il ne se laisse pas faire. Mais il a une intégrité naturelle, qui fait de lui un héros, selon moi. C’est un garçon normal mais avec des qualités que la plupart d’entre nous admire vraiment.

JOM : Vous avez dû avoir foi en votre personnage et son histoire depuis le début ?

Rowling : C’est vrai, et c’était la première fois que je croyais vraiment, vraiment en quelque chose que j’avais écrit. Avant ce travail, je n’avais jamais essayé d’être publiée car je savais tout simplement, quand je relisais, que ce n’était pas assez bon. Mais ce livre, je l’aimais plus que tout ce que j’avais pu faire avant. J’aimais tellement les personnages, il fallait qu’ils grandissent.

JOM : Prévoyiez-vous que le livre attirerait aussi bien les adultes qu’il le fait pour les enfants ?

Rowling : Ca m’a fait comme un choc, car j’avais écrit pour des adultes avant et les manuscrits n’avaient jamais été publiables. Puis, j’ai écrit ce que je pense être une histoire d’enfant – bien que j’écrive pour moi, avant tout pour moi. En fait, quand j’ai commencé à écrire, je crois que je pensais trop aux enfants qui le liraient. Donc, j’ai fini par penser, OK, écrit simplement pour toi. Et c’était la bonne décision, car alors, en tant qu’écrivain, vous ne pouvez pas vous mettre à la place de votre public. Quand des lettres de fans ont commencé à être envoyés à mes éditeurs britanniques et américains, beaucoup d’entre elles venaient d’adultes qui ne prenaient même pas la peine de dire, « Ma fille l’a lu », mais ils disaient des choses du genre, « Je l’ai acheté, je l’ai lu, je l’adore. Puis-je me joindre au fan club ? ». Et ces commentaires venaient d’une femme de 60 ans. C’était incroyable.

JOM : La complexité des informations de l’arrière-plan dans Harry Potter témoigne d’un grand respect de ce que les lecteurs enfants vont comprendre. Est-ce que les adultes vous questionnent parfois à propos de cela ?

Rowling : Oui, les gens veulent souvent savoir si je pense que les enfants comprennent tout dans le livre. « Et même s’ils ne comprennent pas tout, qu’est-ce que ça change ? » Ils comprennent suffisamment pour l’apprécier, et s’ils aiment le livre, ils le relisent encore. Et s’ils comprennent une blague à la relecture qui leur avait échappé avant, c’est merveilleux. C’est une nouvelle joie pour eux. C’est ce qui se passait pour les livres que je lisais quand j’étais très jeune. Je ne comprenais certainement pas chaque mot. Mais après, je voulais les relire quand j’étais apte à comprendre plus de choses. Mais, de toute façon, il y a des enfants de huit ou neuf ans qui semblent avoir tout compris au livre. La preuve que nous ne devrions pas sous-estimer les enfants est toute autour de nous, mais nous persistons à le faire.

JOM : Est-ce que les enfants semblent saisir l’accent mis sur le fait qu’ils gagnent leur propre pouvoir et ont un certain contrôle sur les évènements ?

Rowling : Je pense que c’est plus ou moins la raison pour laquelle ils aiment le livre. Il parle d’un rêve commun à de nombreux enfants : Je dois être spécial. Ces gens ne peuvent pas être mes parents ! Je pense que d’une façon ou d’une autre, nous sommes tous passés par là. C’est une étape normale de la croissance. Nous voulons tous être différents. Et, même si les enfants sont heureux, même s’ils sont en bonne santé, ils sont incroyablement démunis de pouvoir. C’est toujours quelqu’un d’autre qui tire les ficelles, que ce soit un parent, un professeur, ou les frères et sœurs aînés. Donc ils aiment l’idée de pouvoir se sortir de ça. C’est l’une des raisons pour lesquelles Poudlard devait être un pensionnat – de manière à ce que les personnages principaux soient la plupart du temps avec leurs pairs, sans intervention des parents.

JOM : Etes-vous parfois surprise par ce que les gens trouvent dans ce livre ?

Rowling : j’ai eu le temps de prendre du recul par rapport au premier livre, et je peux maintenant parler de manière plus objective que je ne le pouvais lorsque je l’écrivais. J’ai reçu des accusations variées. Certains m’ont dit qu’il était très traditionnel. Bon, il y a certains éléments dans l’histoire qui sont indubitablement très traditionnels. Dans beaucoup de livres d’enfants, vous trouverez les mêmes schémas de base qui apparaissent dans les contes de fées. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles les contes de fées perdurent. Ils nous attirent par un niveau inconscient et émotionnel. Je pense qu’on pourrait dire des choses similaires à propos de Harry. Vous avez le thème de l’enfant échangé par les fées, vous avez les mauvais beaux-parents (même si l’un d’entre eux est du même sang que Harry, dans le cas de Harry). Vous avez même un frère laid, d’une certaine manière. Mais je n’ai certainement pas pensé résolument à incorporer tous ces éléments. Tout vient de l’intérieur. J’ai sué sang et eau pour faire marcher cette histoire, mais elle venait vraiment du cœur. C’est seulement après qu’on peut commencer à l’analyser. Et même à le sur analyser. Il y a une femme qui m’a affirmé qu’il était évident, selon elle, que Harry était tellement maltraité qu’il devenait schizophrène, et que tout ce qu’il lui arrivait depuis la réception des lettres de Poudlard était sa propre façon de s’échapper, dans une sorte de rêve-torture. J’ai tenté d’être polie et de lui répondre, « Et bien, ça peut être une des façons d’envisager l’histoire, je suppose. » Mais j’étais un peu effrayée. L’une des choses les plus agréables quand on écrit pour des enfants est qu’ils ne déconstruisent pas les romans. Qu’ils les aiment ou non.

JOM : Est-t-il un peu intimidant d’avoir un tel succès avec le premier livre quand vous savez qu’il y en a six autres qui seront comparés à celui-ci et entre eux ?

Rowling : Oui, oui. C’était terrifiant. Et il est connu que les gens ont leur préféré. Parmi les livres de Narnia, j’ai mon préféré. Et il est connu que dans une série, il y en a un que les gens aiment moins que les autres. Je peux faire avec ça. Mais j’ai encore l’impression d’être allé de l’autre côté du miroir. Je n’arrive toujours pas à croire que le livre est publié, que je me trouve là à parler de lui avec vous. Le moment le plus effrayant pour moi a été quand on s’est mis en relation avec Scholastic. J’avais beaucoup de publicité avec mon premier livre en Grande-Bretagne, car le livre n’a vraiment décollé qu’à partir du moment où j’ai gagné le prix Smarties, qui est probablement le prix le plus prestigieux pour les livres pour enfants en Angleterre. Donc ça a été une véritable impulsion, et les ventes ont commencé à décoller. Puis, avec la vente du livre à Scholastic, aussi, j’ai été incroyablement effrayée et bloquée pendant un mois environ. Je ne pouvais plus du tout écrire, et je passais de la joie du livre deux à la pensée qu’il n’était pas assez bien, qu’il ne valait pas le tome un. Maintenant que j’ai du recul par rapport au deuxième livre, puisqu’on est une année après et que je viens de finir le trois, je pense que le deux est peut-être meilleur, en fait, que le un. Il a déjà un bon accueil en Grande-Bretagne, et vient de sortir aux Etats-Unis. Et je dois dire que l’édition américaine de Harry Potter à l’Ecole des Sorciers est ma préférée. J’ai vu six éditions différentes, et je les aime tous car c’est toujours mon livre. Mais la couverture de Scholastic est plus dans la lignée de ce que j’avais imaginé pour le livre avant qu’il ne soit publié. Je trouve qu’il est magique. Il ressemble à un livre de sorts avec ses couleurs et le style de l’illustration.

JOM : Pensez-vous déjà à ce qui se passera après le dernier livre de Harry Potter ?

Rowling : J’y ai pensé. J’ai quelques idées qui reposent dans un placard à la maison. Peut-être que j’y reviendrai et que je ferai quelque chose avec elles, mais peut-être que lorsque j’y travaillerai, je découvrirai qu’elles sont totalement sans valeur. Harry est mon travail à plein-temps pour le moment. Je n’ai vraiment pas beaucoup de temps pour penser à d’autres projets. Je ne sais pas si ce qui arrivera après sera ou non pour des enfants. Mais, s’il apparaît que je suis définitivement un écrivain pour enfants, j’en serai contente, car je ne vois pas du tout la littérature pour enfants comme inférieure, ou les livres pour adultes comme un sommet d’accomplissement. Mais s’il s’avère que la prochaine idée qui m’enthousiasme le plus est une histoire pour adultes, alors je le ferai. Les choses pour lesquelles je suis la plus douée sont les choses que j’adore. Donc, je dois attendre qu’une idée arrive. Certains écrivains arrivent très bien à reprendre une idée d’un éditeur, partir de là et écrire un livre. C’est une sorte de don qui dériverait plus vers le journalisme. Mais je sais que je ne pourrais pas le faire. L’idée doit me saisir depuis le début, comme Harry l’a fait.

Interview traduit par Jessica.
Version originale en anglais disponible sur le site de Quick Quote Quill

 

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